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est partout cerné ou occupé par les troupes turques. Reprenons ces deux points importans.

« S’il est un fait incontestable aujourd’hui dans la Syrie et dans le Liban, écrit un voyageur fort éclairé et fort sincère, c’est l’état de division et de morcellement dans lequel se trouve ce malheureux pays. L’œuvre de la Turquie est complète. La division, qui est, vous le savez, son seul moyen de gouvernement, est poussée à son comble ; toute la population chrétienne est réduite à l’état de fractionnement infinitésimal pour ainsi dire, comme un corps dont les atomes chimiques auraient perdu leur cohésion naturelle. Clergé, cheikhs, paysans, citadins, Grecs, Maronites, orthodoxes ou non, que sais-je encore ? tous se jalousent, se craignent, se défient les uns des autres, se trahissent, se refusent un appui mutuel, et au milieu de cette masse sans résistance la Turquie avance, recueillant les fruits d’une situation qu’elle a su habilement créer. Ses fonctionnaires sont partout, ses soldats presque partout. Je les ai rencontrés ces jours derniers sur des points où jamais ils n’avaient mis le pied. C’est un résultat de notre intervention auquel on pouvait ne pas s’attendre… Tout le pays mixte et tous les districts druses sont occupés militairement. Le Kesrouan proprement dit, c’est-à-dire les montagnes du nord, ne l’est pas ; mais tout le littoral, depuis Beyrouth jusqu’à Tripoli, est rempli de soldats turcs. Il y en a même à Sgorta, village de Yousef-Karam, situé un peu au-dessus de Tripoli. Il s’en trouve aussi dans la plaine de la Bekaâ, de telle sorte qu’il serait très facile, au premier jour, d’envelopper les montagnes et de pénétrer dans le cœur du pays chrétien. »

Cette division du pays est justement le contraire de ce que voulait la commission internationale de Beyrouth. Le gouvernement français voulait plus énergiquement que personne l’unité du commandement dans le Liban, afin d’y avoir, comme conséquence, l’union des populations. En 1845, on avait établi dans le Liban deux caïmacamies, l’une maronite et l’autre druse, et cette division a été, dit-on, une des causes principales des massacres du Liban. Il faut ajouter que cette division était devenue une rivalité soigneusement entretenue par la politique turque. Dans les négociations de 1861, il y a eu un moment où l’on proposait trois caïmacamies pour le Liban, une maronite, une druse, une grecque. Le gouvernement français combattit vivement cette trinité discordante. » La rivalité des populations, dit une dépêche française du 2 avril 1861, dégénère facilement en haines ardentes et en conflits armés entre tribus de races et de religions différentes, et si des divisions administratives mal combinées viennent non-seulement affaiblir l’autorité, mais en remettre une-part à chacun des groupes rivaux, les luttes, loin d’être prévenues, seront encouragées. C’est ce que l’on a