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Le mot de ruris est trop faible ici, c’est barbaries qu’il faudrait mettre. Je vous demande pardon pour la France, mais Genève n’est guère plus sage :

Iliacos intra muros peccatur et extra.

Zurich me paraît plus raisonnable que le tripot de Calvin. Zwingle était un bon et brave déiste qui a laissé son esprit à ses compatriotes. Que Dieu soit béni !

« VOLTAIRE. »

« Je vous souhaite un bon voyage, mon cher philosophe… Dites-moi, je vous prie, le nom et la demeure du philosophe qui vint ces jours passés avec vous. Tout philosophe m’est cher, excepté Jean-Jacques ; mais celui-là a renoncé à la philosophie en faveur de l’orgueil et de la démence.

« V. »

« 7 avril 1765.

« Mon cher philosophe, vous voilà dans votre patrie et dans votre beau climat. Vous jouissez du plaisir de voir à votre aise M. de Saint-Priest, et moi, je n’ai eu la satisfaction de lui faire ma cour qu’un moment. Je suis bien persuadé qu’il pense sur l’aventure des Calas comme tous les maîtres des requêtes qui ont réhabilité cette famille infortunée. J’attends tous les jours la nouvelle qui m’apprendra que le roi lui accorde une pension. C’était aux juges de Toulouse à la lui faire, mais celle du roi sera plus honorable, et j’ose dire qu’elle le sera autant au roi qu’aux Calas.

« Après la douleur de vous avoir perdu, je n’en ai point de plus grande que de voir le bel ouvrage que vous aviez entrepris différé. Vous n’aurez pas emporté vos livres en Languedoc, et je doute beaucoup que vous trouviez où vous êtes les matériaux dont vous avez besoin. Je suppose, pour ma consolation, que vous avez fait assez d’extraits pour être en état de travailler sans livres. N’abandonnez jamais, je vous en conjure, cette entreprise utile. Vous rendrez un service essentiel à tous ceux qui pensent et à ceux qui veulent penser. Vous serez le premier qui aurez écrit sur cette matière sans vous tromper et sans vouloir tromper personne.

« Votre ami Vernes a fait imprimer je ne sais quelles lettres de lui et de Jean-Jacques qui ne sont pas assurément des lettres de Cicéron et de Pline.

« J’ignore d’ailleurs comment vont les tracasseries de Genève. Je ne suis occupé que d’ajouter deux ailes à mon petit château de Ferney, où je voudrais bien vous tenir, si jamais vous reveniez dans la triste cité de Calvin.

« Je me flatte que l’air natal a fait du bien à M. votre père, et que la faculté de Montpellier lui en fera encore davantage. Quoi qu’il arrive, souvenez-vous, mon cher philosophe, qu’il y a entre les Alpes et le mont Jura un vieillard qui voudrait passer avec vous les derniers jours de sa vie. « Il y a des philosophes qui ne savent que haïr, j’en connais d’autres qui savent aimer, et j’ose croire que vous et moi nous sommes tous deux de cette école.

« VOLTAIRE. »

«…… Voici une lettre que vous pouvez envoyer à Mme Calas pour M. le marquis de Gouvernet. — Comptez que nous sommes tous des imbéciles. Ce n’est point avec des livres qu’on obtient des grâces de la cour, et l’Apologétique