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tâche de montrer les choses les plus absurdes avec le plus profond respect, de ne point donner prise, de présenter sans cesse aux hommes l’adoration d’un Dieu et l’amour du prochain.

« VOLTAIRE. »

« Est-il vrai, mon cher philosophe, que vous ayez rencontré des gens assez intolérables pour-être choqués du livre de la Tolérance ? Ces gens-là sont pourtant de l’espèce en faveur de laquelle le livre a été écrit, et je serais fâché qu’ils fussent de l’espèce des chiens qui mordent ceux qui leur donnent à manger. Je vous prie de me dire s’il est vrai qu’ils aient aboyé. Au reste, comme on bourdonne beaucoup dans votre ruche, et que les abeilles sont en querelle avec les bourdons et les guêpes, je suis bien sûr que vous ne montrerez la Tolérance qu’à des gens dignes de votre confiance. »

15 septembre 1764.

« Je ne savais pas un mot, mon cher philosophe, des passages singuliers dont vous voulez bien me faire part. C’est la honte de la nature que des gens qui se sont toujours plaints de l’intolérance deviennent eux-mêmes les plus intolérans des hommes. Il y a tel hypocrite qui a l’insolence de faire sur son palier le petit persécuteur, et que je pourrai bien faire sauter par les fenêtres, quand je le rencontrerai sur le mien.

« Je prévois qu’il est impossible qu’un homme de votre mérite et de votre probité reste dans ce malheureux tripot, et je crois qu’il viendra un temps où vous irez vous établir dans la France, votre patrie. Rien ne Vous sera plus aisé que d’être de l’Académie des Belles-Lettres. Vous serez aimé et considéré à Paris, et cent fois plus libre que vous ne l’êtes dans un pays qui se dit libre.

«……. Je vous embrasse en Platon, en Cicéron, en Pythagore, en Confucius, etc.

« VOLTAIRE. »

« Mon cher philosophe, j’imagine que, dans quelque grande Bible, on trouvera le livre apocryphe d’Enoch translaté en mauvais latin. Je vous serais obligé de vouloir bien m’en procurer la lecture. J’ignore pourquoi ce livre est plus apocryphe que d’autres. Mais de tous les livres, celui que j’ai le plus envie de lire, c’est un certain ouvrage sur quatre premiers siècles d’absurdités, auquel travaille un homme dont l’esprit et la raison sont soutenus par la science, et qui ne veut tromper personne.

« Je suis bien las de cette multitude affreuse de livres écrits par des fanatiques ou par des fripons. »

« Vraiment, mon cher philosophe, vous rendrez un grand service à la raison. Faites ces trois articles. Imitez et surpassez cet homme au nez aquilin qui, ayant secoué la poussière de la synagogue, jeta les fondemens d’une loi nouvelle. Jetez les fondemens de la raison, soyez-en l’apôtre. Allez, allez, ils sont tous morts dans leur lit. »

« 26 septembre 1764.

« Mon cher philosophe, seriez-vous assez bon et auriez-vous assez de loisir pour jeter sur le papier quelque chose d’un peu détaillé sur les ophionistes ? Calmet, qui parle de tout avec une ingénuité et une bonne foi imbécile