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— Je ne sais s’il imagine quelque chose. Qui vous fait croire ?…

— Pasquali, qui me parle sans cesse de son filleul avec un zèle… Dites-moi…

— Voulez-vous me permettre, madame la marquise, de ne pas vous en parler du tout ?

— C’est-à-dire que vous ne voulez être ni pour ni contre. Quand nous avons parlé de lui à propos de Nama, vous étiez plus expansif. Vous vous intéressez donc à elle plus qu’à moi ?

— Je la voyais en péril, mais vous…

— Moi, vous me croyez à l’abri de toute folie ?

— Si vous traitez de folie les rêves de Pasquali, la question est jugée.

— Je n’ai pas dit cela, je n’ai aucun dédain pour le nom, l’état et la situation du protégé de Pasquali. Je ne sais de son caractère que ce que vous m’en avez dit…

— Oubliez ce que j’ai dit et jugez par vous-même.

— Je ne suis pas pressée de juger telle ou telle personne, cher docteur ; je ne commence pas les choses par la fin. La question n’est pas de savoir si M. de La Florade doit m’intéresser, mais bien de savoir si je dois songer au mariage.

— Comment ! vous me demandez conseil, à moi ?

— Et en qui donc aurais-je confiance ?

— Le baron…

— Le baron dit oui, et vous ?

— Je ne peux pas avoir un autre avis que le sien.

— Votre jugement, oui, mais votre instinct ? Voyons, si le baron disait non ?

— Je dirais non aussi. Ne voyez en moi qu’un esprit soumis au sien pour tout ce qui vous concerne.

— Vous n’avez donc aucune amitié particulière pour moi ?

— Ah ! madame !… Pardonnez-moi, mais la question est trop grave et trop délicate.

— Pas pour un homme comme vous. Je vous place dans mon estime à la hauteur de cette question-là, et je vous demande d’avoir une opinion à vous tout seul. Si elle est contraire à celle de notre ami, je ne dis pas qu’elle aura plus de poids que la sienne ; mais je pèserai l’une et l’autre, et ma conscience mieux éclairée prononcera plus clairement. Parlez.

— Eh bien ! madame, laissez-moi vous interroger d’abord,… tenez, en médecin. Croyez-vous à l’empire sérieux des passions ?

— Sur l’honneur, je n’en sais absolument rien.

— Alors vous n’y croyez pas, car vous sauriez bien s’il faut y croire.

— Attendez. J’aime mon enfant avec passion pourtant.