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pour leur patrie l’honneur d’avoir inspiré les généreuses indignations de Voltaire. Ils ne les ont pas inspirées, ils les ont entretenues. Le premier élan de son cœur, Voltaire ne le doit à personne ; la suite, la constance, l’obstination inflexible, la victoire enfin, il a pu les devoir à Genève et aux Genevois.

Or c’est Moultou, l’ami de Rousseau, qui a été ici le principal représentant de Genève auprès du philosophe de Ferney. Hôte et défenseur des Calas, il avait, par l’entremise de la duchesse d’Enville, intéressé de hautes influences parisiennes à la cause des persécutés. L’une des personnes qu’il avait sollicitées à ce sujet, la duchesse de Gramont, lui fit écrire de se concerter avec Voltaire. Moultou s’empressa de se rendre à Ferney. L’humble pasteur de Genève et le roi des lettres européennes vont unir désormais leurs efforts. Celui-ci fournit à la cause commune sa verve étincelante, celui-là son zèle évangélique, et, soutenus ainsi l’un par l’autre, ils triompheront de tous les obstacles. C’est ici que se placent nos lettres inédites. La première est sans date, et ne porte que cette seule indication : dimanche soir. D’après les lettres de Moultou à Rousseau, nous croyons que ses premiers rapports avec Voltaire doivent dater du mois de décembre 1762.

« Venez, mon cher monsieur, m’éclairer et m’échauffer, ou plutôt me modérer, car je vous avoue que l’horreur de l’arrêt de Toulouse m’a un peu allumé le sang, et il faut être doux en prêchant la tolérance. Pourriez-vous venir coucher mercredi auprès d’une église qui est dédiée à Dieu seul, en grosses lettres, et dans un petit château où l’on sent tout votre mérite ? Si votre frère, l’anti-athanasien Vernes, veut être de la partie, nous ne dirons pas grand bien des évêques d’Alexandrie, et encore moins des juges de Toulouse.

« VOLTAIRE. »

« Ferney, 2 janvier 1763.

« J’ai l’honneur de vous envoyer, monsieur, l’esquisse sur la tolérance, c’est-à-dire, à mon gré, sur un des droits les plus sacrés du genre humain. Vous devriez bien rendre cet ouvrage supportable en y ajoutant quelques-unes de vos réflexions, que je vous supplierai de mettre sur un papier séparé. Il est essentiel que l’ouvrage paraisse incessamment, parce que l’affaire des Calas va être jugée ce mois-ci. C’est ce que me mande leur avocat, M. Mariette.

« Puis-je vous demander ce que c’est qu’un Accord parfait, etc., composé par un prétendu capitaine de cavalerie, cité à la page Wlk du détestable livre de ce fripon d’abbé de Caveirac, plus ennemi encore du genre humain que le vôtre ? Je me défie des livres qui annoncent quelque chose de parfait. Cela n’est bon que pour le Parfait Maréchal et le Parfait Confiturier, Cependant faites-moi l’amitié de m’envoyer toujours cet Accord parfait… »

« Ferney, 8 janvier 1763.

« J’ai lu avec attention, monsieur, une grande partie de l’Accord parfait ;