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fossés. C’était fête partout et fête effrénée, car elle est courte en Provence, la fête du printemps ! Entre les tempêtes de mars-avril et les chaleurs de mai-juin, tout s’épanouit et s’enivre à la fois d’une vie exubérante et rapide.

Nous fîmes plusieurs excursions intéressantes, et Paul devint aussi savant que moi en botanique provençale de la saison. Sa mère s’intéressait vivement à nos trouvailles, et consentait à s’extasier devant des brimborions à peine visibles à l’œil nu. Mlle Roque aimait mieux les fleurs voyantes, les tulipes œil de soleil, qui croissaient dans les blés, les grandes glaucées des falaises et les nigelles de Damas, qui dans certains ravins atteignaient à des proportions extraordinaires. Elle se faisait de singulières coiffures avec ces riches corolles ; elle s’en mettait sur les tempes, dans les oreilles, elle regrettait de ne pouvoir s’en mettre dans les narines. Elle était quelquefois à mourir de rire, et quelquefois aussi très belle avec cette ornementation sauvage. Quand la marquise la coiffait avec goût d’une couronne de fleurs de grenadiers mêlées à ses cheveux noirs crépus, elle avait une tête remarquable.

C’était un véritable enfant, d’une innocence primitive et d’une inaltérable douceur. Mme d’Elmeval me trouvait trop indifférent pour sa protégée. — Que lui reprochez-vous donc ? me disait-elle ; elle n’est pas intelligente à l’œil nu, comme vous dites en étudiant vos plantes microscopiques, et je conviens qu’elle ne montre pas plus d’esprit qu’une statue de bronze à qui l’on aurait mis des yeux d’émail ; mais elle est loin d’être ce qu’elle paraît : elle apprend très vite. La douceur et la volonté d’obéir remplacent chez elle l’habitude de l’attention et de la mémoire. Elle vit un peu comme les autres rêvent ; mais il y a en elle une telle ignorance du mal que l’on se prend à l’admirer au moment où l’on croirait devoir la gronder.

J’avouais ne pas tenir grand compte de cette absence de notion du mal qui avait pour conséquence l’absence de la notion du bien.

— Ah ! vous avez tort ! répondait la marquise d’un air naïvement étonné, comme si jusque-là elle m’eût jugé infaillible ; oui, vrai, docteur, vous avez tort de dédaigner cet état divin de l’âme qui fait la beauté morale de l’enfance ! Est-ce que vous croyez que Paul sait ce que c’est qu’une mauvaise action ?

— Non sans doute ; mais il faudra bien qu’il l’apprenne.

— Ah ! il l’apprendra toujours trop tôt, et la bonne Nama aussi ! C’est leur mois de mai, à eux ! Laissons-le fleurir.

Je voyais Mme d’Elmeval presque à toute heure. Le matin, elle amenait Paul au baron. La leçon durait deux heures, et pendant ce temps je me promenais avec elle dans le jardin Caire, ou je lui lisais au salon les journaux et les brochures nouvelles. Elle rentrait