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remontrances au roi en 1779 : « Qu’il soit permis, sire, à votre parlement de Bordeaux de présenter à votre majesté un plan qui réunirait tous les ordres de l’état, qui simplifierait l’administration intérieure du royaume, qui ramènerait l’agriculture, le commerce et les arts, qui élèverait l’âme par le sentiment intérieur de la liberté, qui mettrait dans les impositions une répartition juste et proportionnelle, qui anéantirait la corvée, et qui, en faisant la félicité des particuliers, ferait la gloire, le bonheur et la force des rois. Ce plan, sire, est celui que votre majesté a fait exécuter dans quelques provinces ; c’est le rétablissement de l’ordre municipal et des pays d’états dans l’étendue de ce ressort. Si la France tient compte au grand prince qui a donné le jour à Louis XV du projet qu’il avait formé de mettre toute la France en pays d’états, quels seraient les sentimens de toute la nation pour le roi qui réaliserait ce projet ! » En 1784, à propos d’un mémoire publié par l’intendant, M. Dupré de Saint-Maur, où il accusait le parlement d’avoir voulu maintenir la corvée pour les chemins, la cour de Bordeaux était revenue à la charge. « Dans les remontrances que vous fîtes en 1779, disait le magistrat qui porta la parole, vous suppliâtes le roi d’établir dans votre ressort les administrations provinciales. Une des premières opérations de ces assemblées eût été sans doute l’abolition de la corvée et la répartition sur tous les ordres de citoyens des sommes nécessaires pour la construction et l’entretien des chemins ; vous l’aviez même annoncé dans vos remontrances. » Et trois ans seulement après cette dernière délibération, quand le roi accordait ce qu’on avait réclamé avec tant d’instance, cette même cour se déclarait avec violence contre sa propre demande ! Et par un entraînement plus déraisonnable encore la cour des aides, le corps municipal, la ville presque entière, l’appuyaient dans sa résistance !

Il semble, quand on lit aujourd’hui les pièces de ce singulier débat, qu’il s’agisse d’un coup de despotisme qui viole et confisque tous les droits, et on a besoin de se redire à tout moment que c’est bien à propos des assemblées provinciales qu’éclate ce débordement, c’est-à-dire de l’acte le plus sage, le plus libéral, le plus utile, de la concession la plus décisive qu’ait jamais faite aucun gouvernement absolu. Pour se mettre à l’abri derrière un vœu national, le parlement réclamait les états-généraux, mais l’un n’empêchait pas l’autre ; les assemblées provinciales étaient au contraire la plus sûre préparation aux états-généraux, accordés en principe par le roi, et qui ne pouvaient tarder longtemps. C’est ce que le garde des sceaux, M. de Lamoignon, ne manqua pas de faire remarquer dans sa réponse au parlement. « Perdant de vue l’objet principal de la formation des assemblées provinciales, vous faites