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de population et de richesse justifiât ce surcroît d’impôt. Il faut lire les avis annuels de Turgot pour comprendre l’énormité de cette charge. Il prouvait, pièces en main, que, le revenu net du sol étant extrêmement bas dans la province, l’impôt en prenait la moitié, et quelquefois les deux tiers. Le peuple ne se nourrissait que de blé noir et de châtaignes. La condition des propriétaires ne valait pas beaucoup mieux, et ce qui le prouvait, c’était la multitude des domaines abandonnés par l’impossibilité de payer l’impôt. Le gouvernement accordait de temps en temps aux instances de Turgot une faible remise, mais en refusant de céder sur le principe. Ce ne fut que quand il devint ministre lui-même que Turgot accorda au Limousin une réduction sur la taille. Avant de rendre pour toute la France son édit sur la suppression de la corvée pour les chemins, il avait fait, comme intendant, l’essai de ce système. Aidé par l’ingénieur en chef de la province, il entreprit de substituer aux corvées les travaux à prix d’argent. Il rencontra de grandes difficultés dans la résistance des paysans, qui ne pouvaient pas croire qu’on songeât réellement à les soulager. Fort de l’exemple de M. de Fontette à Caen, il réussit à vaincre ces préjugés, et put bientôt se rendre ce témoignage, « qu’il avait fait plus d’ouvrage en dix ans qu’on n’en avait fait auparavant en trente-cinq ans de corvées. » Le Limousin touchant au Berri, c’est sur ce modèle que se régla, quelques années après, la première des assemblées provinciales.

Nous avons déjà vu ce qu’il avait fait pour la milice, cet autre fléau des campagnes. En confiant à la maréchaussée la poursuite des réfractaires, au lieu de l’abandonner aux habitans, il mit fin à la guerre civile qui armait les paysans les uns contre les autres dans ce pays entrecoupé de rochers et de bois. En autorisant, malgré les ordonnances, la cotisation volontaire, ou ce qu’on appelait la mise au chapeau, pour payer des remplaçans, il engagea gravement sa responsabilité, mais il dépouilla le tirage au sort de ce qui contribuait le plus à le faire détester. En même temps il supprima l’usage destructeur des corvées pour les transports militaires, en les remplaçant par des entrepreneurs aux frais de la province, et il fit construire des casernes pour dispenser les habitans du logement des gens de guerre, servitude non moins nuisible à la discipline des troupes qu’à la sécurité des particuliers. Ces violens procédés de l’ancienne administration monarchique avaient généralement disparu en 1789, sur l’exemple donné en Limousin ; la révolution les rétablit sous le nom deréquisitions.

Les efforts de Turgot pour développer l’agriculture et l’industrie ne méritent pas moins la reconnaissance de la postérité. La société d’agriculture de Limoges venait de se fonder quand il arriva ; il la