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desseins, Périclès, m’étaient connus. La rumeur publique me les avait appris à Olympie. Notre conversation, il y a trois jours, ne m’a laissé aucun doute. C’est pourquoi je t’ai prié une dernière fois de venir. Si la voix d’un ami mourant est capable de te toucher, renonce à une résolution qui peut te perdre, et qui perdra certainement notre patrie.

PÉRICLÈS.

Ta mort même m’avertit de me tenir sur mes gardes et de te venger. D’ailleurs ne sommes-nous pas les fils des héros de Marathon ?

PHIDIAS.

Ce ne sont plus des Mèdes que nous combattrons, mais des Grecs ; ce sont des frères qui nous égalent en courage et nous surpassent en nombre.

PÉRICLÈS.

La victoire n’en sera que plus belle, et la mer nous appartient.

PHIDIAS.

Nos flottes, bonnes pour envahir d’autres pays, sont inutiles pour nous défendre, puisque l’Attique n’est point une île.

PÉRICLÈS.

Le sort en est jeté. Athènes ou Sparte, il faut qu’une des rivales succombe.

PHIDIAS.

Je quittais la vie avec calme, je la quitte maintenant avec joie. Je ne verrai point nos campagnes ravagées chaque printemps, ni les Lacédémoniens s’avançant, la torche à la main, jusqu’à nos portes solidement fermées. Je ne verrai point le deuil entrer dans une maison, puis dans une autre. Je n’entendrai point les éloges funèbres des guerriers morts, qui remplaceront désormais les fêtes et les chants. Je ne compterai point du regard notre jeunesse décimée, jusqu’au jour où nos murs seront vides de défenseurs. Je n’assisterai point, vieillard impuissant, au triomphe d’un Spartiate, qui choisira ses captives, vendra nos dépouilles à l’encan, et portera peut-être le fer sur le Parthénon. O Périclès, toi que j’ai tant aimé, le dernier vœu que je forme, c’est que tu meures à temps, comme je meurs !

PÉRICLÈS.

Donne-moi cette main fidèle, que je ne presserai plus. Je te le jure, tu auras des funérailles sanglantes !

PHIDIAS.

Hélas !

PÉRICLÈS.

C’est aux Athéniens de dire : « Hélas ! » car leur bon génie descend avec toi dans le tombeau.

(Phidias expire.


BEULE.