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PÉRICLÈS.

Oui, c’est moi, et comment en suis-je récompensé ? Depuis quarante ans je prends part aux affaires de mon pays, depuis quinze ans j’exerce par mes conseils une influence souveraine, qui fait dire que notre gouvernement est une monarchie. Cependant ai-je abusé un seul jour de l’autorité qui m’était déférée ? Est-il un citoyen à qui j’aie fait prendre le deuil ?

PHIDIAS.

Aucune renommée n’est plus pure que la tienne.

PÉRICLÈS.

Hélas ! nous n’entendons que le bruit de la renommée, la réalité nous échappe, tandis que nous sentons ce que la douleur a de réel. Je te perds, toi, le compagnon de ma jeunesse, le confident de mes projets, mon guide le plus sûr dans les entreprises qui ont fait d’Athènes la reine des villes grecques !

PHIDIAS.

À notre âge, mon ami, les séparations ne sont plus de longue durée. Heureux ceux qui partent les premiers ! Il est facile de bien commencer la vie, difficile de la bien finir.

PÉRICLÈS.

Tu as raison. Je n’ai désormais devant moi que la solitude, la trahison et des calamités publiques que je ne pourrai prévenir.

PHIDIAS.

La fortune n’aime point les vieillards. Ce pouvoir qui t’attire tant de haines, qui te quittera peut-être, n’est-il pas temps de le quitter ?

PÉRICLÈS.

Tu m’en dissuadais il y a trois jours.

PHIDIAS.

Parce que tu ne pensais qu’à me sauver. Aujourd’hui il ne s’agit plus de moi, c’est uniquement ton intérêt qu’il convient d’examiner. O Périclès, tu es le plus envié des Grecs, et pourtant je connais un homme qui sera plus grand que toi.

PÉRICLÈS.

Lequel ?

PHIDIAS.

Celui qui, possédant une puissance semblable à la tienne, y renoncera volontairement.

PÉRICLÈS.

Il est pénible d’avoir été et de n’être plus.

PHIDIAS.

Où serait, sans cela, la beauté du sacrifice ?

PÉRICLÈS.

Régner est un doux poison…

PHIDIAS.

Être admiré est quelque chose de plus doux encore. Du reste, il règne toujours celui qui ne s’est laissé vaincre que par ses amis.