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PHIDIAS.

Tu te trompes, Agoracrite, le Jupiter d’Olympie était mon dernier effort. Pour celui qui a l’habitude du travail, s’arrêter à temps est une science difficile. Combien d’artistes, quoique leur main soit affaiblie, s’acharnent à produire des œuvres qu’ils n’auraient point avouées dans leur jeunesse ! Peu à, peu ils détruisent eux-mêmes leur renommée et finissent par exciter plus de pitié que d’estime. Ne suis-je pas vraiment digne d’envie, moi qui meurs complet ?

PÆONIOS.

De retour dans ta patrie, tu aurais joui tranquillement de ta gloire.

PHIDIAS.

Cette tranquillité n’est accordée qu’aux morts.

AGORACRITE.

Si du moins tes jours n’étaient point abrégés par les mauvais traitemens !

PHIDIAS.

Me supposes-tu si lâche que je n’aie pu supporter une semaine de captivité ? Non, mon heure était marquée. La destinée me frappe ici, comme elle m’aurait frappé en tout autre lieu.

PRAXIAS.

Ainsi tes yeux ne verront même plus, avant de se fermer, la sainte lumière du soleil ?

PHIDIAS.

La conscience d’une vie bien remplie répand au dedans de moi-même une clarté non moins douce.

SOCRATE.

En effet, mon cher Phidias, il ne convient pas de plaindre celui qui couronne une belle vie par une belle mort. Aussi gémissons-nous moins sur toi que sur nous-mêmes, qui allons être privés d’un ami tel que toi.

AGORACRITE.

Que deviendront ceux qui étaient accoutumés à travailler sous tes yeux sans te jamais quitter ?

PHIDIAS.

Depuis longtemps vous êtes des hommes et vous m’égalez en science. Ce que vous avez appris de moi, vous l’enseignerez à votre tour. Périclès ne cessera pas de vous protéger.

AGORACRITE.

Ton sort est tout à fait propre à nous encourager.

PHIDIAS.

Mon malheur vous sera utile. Le peuple, aussitôt sa colère assouvie, regrettera de s’être laissé abuser par nos ennemis.

PRAXIAS.

Nous étions plus heureux à Olympie.

PHIDIAS.

Vous serez plus illustres à Athènes. La gloire ne s’acquiert pas sans souffrances ; mais ce que l’on souffre a la recherche des belles choses est beau.