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doit s’augmenter encore, puisqu’elle produit des hommes capables de tout sacrifier à ce qui est bien. Courage, mon cher Socrate, l’ingratitude des hommes ne nous ôte qu’une récompense éphémère, tandis qu’elle consacre notre immortalité.

SOCRATE.

J’ai toujours admiré ta grandeur d’âme, et j’étais certain qu’elle ne se démentirait point au moment où la plupart des mortels tremblent.

PHIDIAS.

Pourquoi trembler ? Celui qui n’a rien à se reprocher, « l’espérance, comme le dit Pindare, berce doucement son cœur et allaite sa vieillesse. »

SOCRATE.

C’est pourquoi tu ne peux m’en vouloir si je viens te demander quelles pensées m’agiteront lorsque j’en serai au même point que toi.

PHIDIAS.

Tu t’adresses mal, car je ne suis point un philosophe. Je ressemble à ceux dont l’écriture n’est lisible que pour eux-mêmes.

SOCRATE.

Malgré ton aversion pour les raisonnemens, tu ne refuseras pas d’éclairer quelqu’un que tu as, plus que personne, poussé vers l’étude de la sagesse.

PHIDIAS.

Le désir de te satisfaire ne me manque pas, Socrate ; mais comment te décrire des choses que je ne puis ni voir ni pénétrer moi-même ? Car je suppose que tu veux me parler de ce monde inconnu où je vais entrer.

SOCRATE.

Oui certes, et puisque tu as déjà un pied sur le seuil, il semble que tu doives nous avertir, ainsi qu’un éclaireur qui, placé au sommet d’une montagne, embrasse un horizon étendu.

PHIDIAS.

Que te dirai-je ? En moi je sens régner la confiance et la sérénité, en dehors de moi tout est ténèbres.

SOCRATE.

Cependant ton âme est accoutumée à s’élever dans les sphères supérieures. Tu as vécu dans la contemplation de ces images divines dont tes œuvres ne sont qu’un reflet.

PHIDIAS.

Nous avons des ailes pour atteindre la vérité, la beauté, la justice, et tous ces types parfaits sur lesquels nous nous efforçons de nous régler ; mais, dès que nous voulons sonder notre propre destinée et savoir ce qui nous attend après que nous nous serons détachés du corps, tout s’obscurcit, tout est fermé devant nous, et nous sommes rejetés vers la terre. Il semble que celui qui nous a créés ait posé à notre personnalité des limites immuables.

SOCRATE.

Est-ce une preuve que nous cesserons d’exister, pour être absorbés dans le reste de l’univers ?

PHIDIAS.

Quelquefois j’entends dire que l’âme se dissipe comme la fumée qui monte vers le ciel, ou comme les derniers accords d’une lyre qui se brise. Si la