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AGORACRITE.

Tu étais hier à l’assemblée. Tu as entendu le rapport des trésoriers de la déesse, qui a fait absoudre Phidias, et la dénonciation imprévue de son esclave, qui l’a fait ramener à la prison. Pour nous, qui avions couvert de huées Simmias, le premier accusateur, nous aurions mis en pièces l’infâme Ménon, s’il ne se fût réfugié sur l’autel. Déjà, Phidias était languissant : il a voulu se rendre au Pnyx, effort funeste. Il sent que sa fin approche, et m’envoie chercher Périclès. Comment donc pourrais-je retenir mes larmes ?

SOCRATE.

Tu m’annonces un malheur public, car Athènes va perdre non-seulement un grand artiste, mais un de ses meilleurs citoyens. Il exerçait sur Périclès une influence salutaire.

AGORACRITE.

Les Athéniens reconnaissent noblement ses services !

SOCRATE.

Le chagrin d’être aussi indignement traité ne serait-il pas la cause de sa maladie ? La vieillesse est un fruit mûr que le moindre vent détache. N’a-t-il pas soixante-cinq ans ?

AGORACRITE.

Oui, mais ceux qui vivent avec Phidias t’attesteront qu’il n’a jamais été enivré par la bonne fortune ni ébranlé par l’adversité. Il est aussi calme que s’il maniait le ciseau dans son atelier. Au moment où Ménon l’accusait d’impiété, tandis que la foule était remuée par les passions les plus contraires, j’ai remarqué que Phidias comprimait un sourire, comme un sage qui connaît les hommes et voit se réaliser ce qu’il a prédit.

SOCRATE.

Avez-vous appelé un médecin ?

AGORACRITE.

Le maître s’y est opposé : on dirait qu’il veut tenir son mal caché ou qu’il craint d’être guéri.

SOCRATE.

Ne pourrais-je le visiter dans sa prison ?

AGORACRITE.

Il t’accueillera avec plaisir, Socrate, il a pour toi une estime singulière.

SCÈNE IX.
( La prison.)
PHIDIAS, SOCRATE.
PHIDIAS.
PHIDIAS, étendu sur un lit.

Tu es le bienvenu, Socrate.

SOCRATE.

O Phidias, quelle douleur pour tes amis ! quelle honte pour notre ville !

PHIDIAS.

Toi qui désires tout savoir, tu viens apprendre comment l’on meurt en prison ?