Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/370

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

PHIDIAS.

De quel message veux-tu parler ?

PÉRICLÈS.

Dès que j’ai appris que tu quittais l’Élide, un de mes esclaves est allé t’attendre à l’isthme de Corinthe avec une lettre. Je te suppliais de ne pas rentrer à Athènes, prévoyant l’accueil que te ménageaient nos ennemis.

PHIDIAS.

Pour éviter les fatigues de la route de terre, je me suis embarqué.

PÉRICLÈS.

Et moi, persuadé que tu céderais à mes prières, je me reposais depuis trois jours dans ma maison des champs, car aucune affaire importante ne se traitait à l’assemblée. On a profité de mon absence.

PHIDIAS.

Les Athéniens craignaient de me perdre de nouveau ; c’est pourquoi ils ont choisi un moyen sûr pour me retenir.

PÉRICLÈS.

Les Athéniens se couvrent de honte, et leur ingratitude me fait gémir.

PHIDIAS.

Nous sommes trop vieux tous les deux, Périclès, pour croire encore à la reconnaissance des hommes.

PÉRICLÈS.

Je conçois que le peuple s’irrite contre les citoyens puissans, ou renverse les chefs qui le conduisent. Mais toi, qui es resté étranger aux affaires, quelle excuse a-t-on pour te nuire ? Tu ne menaces point la liberté, tu ne portes ombrage à personne. En ornant la ville de tes œuvres, tu as au contraire procuré à tous les Athéniens une gloire dont ils ne cessent point de s’enorgueillir.

PHIDIAS.

Cette gloire que tu rappelles, n’en obtenons-nous pas la plus belle part ? Elle était notre but, elle est notre récompense. Voilà ce que le peuple ne peut nous enlever. Permettons-lui donc d’être ingrat.

PÉRICLÈS.

J’admire ta douceur à supporter l’injustice. Tu ignores qu’en s’attaquant à toi, c’est un autre qu’on veut atteindre.

PHIDIAS.

Je n’ai pas coutume d’ignorer les choses qui te touchent.

PÉRICLÈS.

Quoi ! tu savais qu’on poursuit l’un après l’autre ceux qui me sont chers, et que leur amitié pour moi les expose aux plus grands dangers ?

PHIDIAS.

Je le savais.

PÉRICLÈS.

Et tu ne préférais pas rester à Olympie, où tu vivais tranquille et honoré ?

PHIDIAS.

Il ne jouit ni du calme ni des honneurs, celui qui vieillit loin de sa patrie. J’ai voulu revoir Athènes avant de mourir.