Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/356

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tant de transformations, M. Nigra en vient à conclure que ce chant, tout chevaleresque dans sa forme primitive, naquit en terre latine et probablement dans la France, cette terre de chevalerie, et qu’il fut transporté de là en Provence, en Italie et en Espagne, pour passer ensuite en Orient avec les croisés.


IV

Il nous reste à parler des chansons d’amour, qui forment de beaucoup la classe la plus nombreuse parmi les chants italiens, surtout en Toscane. Il y a certainement bien des traits qui ont pu venir à la pensée des amoureux de tous les pays, et il n’est pas besoin ici de supposer des emprunts, comme pour les chansons purement narratives. Ainsi, comme le Français qui préfère « sa mie à Paris, la grand’ville, » et qui le dit tout net au roi Henri, l’amant vénitien « n’abandonnerait pas sa Nina, quand on lui donnerait la France avec Paris, le noble castel de Montalbano, etc. » Un autre s’exprime à peu près de même : « Si le pape me donnait Rome tout entière, et qu’il me dît : Cède-moi Maria, je répondrais : Non ! saint-père, non ! » Ici c’est une jeune fille qui chante comme l’amoureux de Béranger :

Maudit printemps, reviendras-tu toujours ?
Quandò quell’alburino sarà secco,
Vedrò la casa del mio giovinetto…
Sia maladetto chi ce l’ha piantato !


Un galant du même pays suit sa maîtresse à travers une foule de transformations diverses[1], et ne s’inquiète guère si Anacréon avant lui, si à côté de lui d’autres poètes populaires dans les plaines du Berri ou au fond des montagnes de l’Illyrie ont chanté, dans des termes à peu près semblables, la même métempsycose amoureuse. Cette fontaine, qu’un autre a découverte à Rome[2], et qui guérit tous les maux, fors le mal d’amour, rappelle la chanson bourbonnaise :

Au bord du Cher y a t’une fontaine…
Le mal d’amour est une rude peine
Lorsqu’il nous tient, il nous en fait mourir ;
L’herbe des prés qu’elle est si souveraine,
L’herbe des prés ne saurait en guérir.
  1. Se per fuggir da me cervo ti fai,
    Leone mi farò per arrestarti ;
    E se uccello in aria volerai
    Io falco mi farò per ripigliarti, etc.
  2. A Roma s’è scoperta una fontana, etc.
    (Andreoli, Canti popolari toscani, 1857.)