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toute cette ardeur, c’est la race, un fonds qui ne s’emprunte pas : les pouvoirs locaux qui abondent en ce pays ne sont qu’un produit entre autres de ce fonds généreux.

Oui, je le reconnais et je le répète, en Angleterre il y a plus de localisme (pardon du mot) que parmi nous ; mais aussi bien tout y est à plus forte dose. Vous y voyez plus d’aristocratie, témoin ces juges de paix auxquels il ne manque que l’hérédité légale pour être de purs seigneurs féodaux, — plus de démocratie, témoin ces paroisses administrées directement par tous les contribuables et non par un conseil électif ; j’allais dire plus de monarchie,… mais ne soyons pas ingrat : non, jamais il n’y eut monarchie comme la nôtre, comblée à son berceau par les prêtres, aiguisée par les légistes un peu plus tard, tendue et exaspérée de nos jours par les restaurations, par les réactions, par les révolutions surtout, créatrices de pouvoirs qui vont toujours engraisser la monarchie. Cependant la royauté anglaise a de son côté des attributs qui ne sont pas indifférens : le dogme, l’Inde, le socialisme. N’oublions pas qu’en ce pays le souverain est le chef spirituel de l’état, sans acception de sexe ni de cervelle, — le monarque absolu de l’Hindoustan, qui n’est pas une colonie, mais une pure conquête, — le dispensateur de 200 millions pris à ceux qui ont pour donner à ceux qui n’ont pas. On peut ajouter à ce détail qu’il est l’officier suprême de l’état civil, une fonction disséminée chez nous dans chaque village, et qui est centralisée parmi nos voisins.

L’Anglais a tous les pouvoirs publics, tous les principes politiques, plus accusés que les nôtres, par la même raison qu’il a phis de commerce, plus d’agriculture, plus d’associations, plus de sectes, plus de clubs, plus de colonies que nous n’en avons. Sur un fonds plus vaste et plus riche, les élémens politiques prennent les mêmes proportions que les élémens civils, religieux, économiques. Il en faut prendre son parti : l’Anglais est mieux doué pour l’action individuelle qu’aucun peuple, à preuve qu’il excelle à coloniser, ce qui n’est pas moins que vaincre la nature, les naturels et soi-même.

Est-ce par là le premier de tous les peuples ? Pas du tout. Tel autre peuple, où le besoin d’agir n’est pas une obsession, a peut-être un don de pensée supérieur, et cette qualité comme cette lacune ont de grandes suites. La pensée française par exemple, quand elle est celle de ses gouvernans, a pour instrument une nation plus compacte et plus liée, justement parce que cette nation est moins livrée au sens et à l’acte individuel ; or cette inspiration et cet instrument sont incomparables pour remuer le monde. Ceci n’est pas moins qu’une des meilleures chances du genre humain, une des forces de la civilisation.