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aux principes du sujet. L’intervention de l’état dans les affaires d’une localité peut être politique, arbitrale ou tutélaire : — politique, pour tenir les localités soumises aux lois générales et à l’intérêt général, les empêchant par exemple d’asseoir l’impôt à leur manière qui serait peut-être inique, ou de se surcharger d’impôts, par où elles deviendraient incapables de payer les taxes dues à l’état ; — arbitrale, pour la protection des minorités, pour la juste répartition du bien-être communal ; — tutélaire, pour protéger la commune contre elle-même, contre l’ineptie et la prodigalité dont on la croit susceptible. Tutélaire est le mot propre : ce régime est bien celui qu’on applique aux mineurs pour les préserver d’eux-mêmes.

Or en Angleterre le gouvernement central pratique pleinement la première de ces interventions : il pratique même la seconde, mais pas du tout la troisième. Il ne croit pas avoir charge des intérêts particuliers, encore que ces intérêts soient ceux d’une commune ou d’une compagnie. En ce qui regarde une compagnie, le doute peut s’élever, puisque je vois qu’une compagnie de chemins de fer doit établir le rapport de son revenu avec ses charges annuelles : à cet égard, les comités parlementaires sont liés par des règles formelles, et ne peuvent accorder un bill d’autorisation que sur cette preuve préalablement faite[1] ; mais il en est tout autrement pour les localités : en ce qui les regarde, il n’y a pas trace de cette sollicitude. Le pouvoir central ne croit pas savoir les affaires de la commune mieux que la commune elle-même. Il n’essaie pas de lui remontrer que telle dépense est inutile ou excessive, que tel projet de construction est mal conçu, dispendieux, plein de conséquences nuisibles. Encore moins lui impose-t-il ses plans et ses vues d’après l’autorité de certains corps réputés infaillibles dès qu’il s’agit de remuer la pierre ou le sol. Bref, il n’y a en Angleterre ni cette ingérence ni les moyens de cette ingérence, qui sont parmi nous le conseil général des ponts et chaussées et le conseil général des bâtimens civils. Voilà une différence capitale entre le procédé français et le procédé britannique, qui toutefois n’est pas la seule : chez nous l’intervention centrale est confiée au pouvoir exécutif ; chez nos voisins, elle appartient au parlement. On peut applaudir à cette dernière solution en ce qu’elle ôte au gouvernement un principe d’influence sujet à des abus politiques. Toutefois il faut penser à une chose : si cette influence et ses abus profitaient à quelqu’un des partis dont se compose le parlement, l’avantage serait médiocre… Rien n’établit et même rien n’insinue que tel soit parmi nos voisins l’abus des majorités parlementaires.

  1. Treatise, etc., by Erskine May, p. 420, § 18.