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publics dans toute leur étendue et leur complexité, était encore à naître et à reconnaître. Aujourd’hui, toutes choses étant grandies et démêlées, est-il sage de les traiter avec l’appareil informe qui suffisait au moyen âge ? Cette confusion de pouvoirs est vicieuse en soi : quel abus par exemple que de mettre ensemble la justice et la police, exposant l’une à perdre quelque chose de ses formalités et de ses lenteurs, qui sont des garanties, tandis que l’autre y compromet sa promptitude et sa dextérité ! Pourquoi cette grossièreté inaltérable de rouages dans une civilisation qui se perfectionne, et qui, par cela même, se diversifie, se complique de toutes parts ? Véritablement c’est prendre plaisir à l’obstacle et à l’impuissance.

Tout cela est plausible. Cependant rappelons-nous que la civilisation ne réside pas tout entière dans la perfection des mécanismes administratifs. Il est certain que, l’âme des choses changeant, les mécanismes feraient bien de s’améliorer eux-mêmes, de se transfigurer à leur tour ; il convient que l’organe se proportionne à la fonction. Toutefois la civilisation est surtout dans les personnes, dans les âmes : or elles peuvent corriger par ce qu’elles acquièrent de sain et de progressif le vice qui est resté dans le matériel des institutions.

Aujourd’hui par exemple, le procédé français pour atteindre la vérité juridique est de mettre d’une part l’accusation, de l’autre la défense, d’instituer deux organes pour ces deux fins, et cela en effet est fort bien avisé. Il ne faut pas croire cependant qu’un accusé non défendu, soit par cela même un condamné. Si les juges eux-mêmes allaient le défendre… A cet égard, les mœurs judiciaires de la Grande-Bretagne sont fort édifiantes, et le spectacle en est curieux parmi ces juges de paix dont nous avons reconnu tout à l’heure l’origine et la qualité. Voilà des hommes qui figurent au plus haut degré la conservation, la stabilité, tous les intérêts gardiens de l’ordre et de la propriété. Vous croyez peut-être que la répression sera chez eux un parti pris, une férocité organique, qu’ils auront du moins toutes les préventions et toutes les rigueurs signalées à bon droit comme le vice qui s’établit parmi les juges permanens. Eh bien ! non : quelque chose, il faut le croire, s’éveille en eux à l’aspect de l’accusé et les interpelle au nom de leur office, qui n’est pas uniquement pour eux, au nom d’un droit qui n’est pas uniquement celui de la société… Je les crois peu juristes, encore moins philosophes ; il n’y a pas apparence qu’ils aient jamais rencontré, dans leurs lectures ce vœu de la loi romaine que je ne suis pas sur pour mon compte d’avoir bien retenu : Absentia defensoris prœsentia numinis repleatur… Cependant il est de fait qu’ils ménagent l’accusé, suppléant aux lacunes et au trouble de sa défende,