Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/281

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses yeux grands ouverts. On voit et on observe vite dans les momens de surexcitation. Je remarquai le changement que la mort avait apporté dans sa physionomie. Le cercle tantôt brun, tantôt rose, qui semblait agrandir ou rapetisser ses yeux, selon le genre d’émotion qu’il éprouvait, s’était complétement effacé ; ses traits, nullement contractés, avaient une expression de calme béatitude, sa bouche pâlie était à peine violacée par le froid, et son regard vitré s’était attaché à tout jamais sur le bleu infini de la mer à l’horizon.

Mon premier soin fut de constater la mort, après quoi j’en recherchai la cause. Pas une fracture, pas une blessure sur le corps, des écorchures profondes aux mains et aux doigts, les ongles presque déracinés. Il s’était retenu longtemps peut-être aux rochers avant d’achever la chute qui l’avait lancé dans l’eau, car il était noyé et nullement frappé, meurtri ou brisé. Il avait pu nager, errer peut-être longtemps dans l’obscurité parmi des écueils où il n’avait pu prendre pied, et poussé par le flot, le vent soufflant du large, il était venu échouer et mourir sur la grève étroite.

À peine eus-je acquis toutes ces certitudes que j’appelai de toutes mes forces, et, la voix de Marescat m’ayant répondu, je me mis en devoir de ranimer ce cadavre, sans aucune espérance, je le déclare, tant la mort me paraissait un fait accompli ; mais, dans les cas d’asphyxie, j’ai toujours regardé comme un devoir de ne pas croire sans appel au témoignage de mes sens. J’arrachai les vêtemens mouillés de La Florade, je le couvris des miens, et avec mes mains pleines de sable je pratiquai des frictions violentes. J’obtins alors au moyen de la lancette quelques gouttes de sang, et, bien que ce fût une très faible preuve de vitalité, je redoublai d’énergie.

Marescat m’avait signalé aux gardes-côtes. Ils arrivaient avec une barque, mais trop tard à mon gré, car mes forces s’épuisaient, et je sentais se ralentir l’action de mes bras. Il m’était impossible de me rendre compte de l’état du pouls et du cœur, je ne sentais plus que le battement exaspéré de mes propres artères. Quand la barque arriva, je prescrivis à Marescat de me remplacer, et je tombai évanoui dans les bras d’Estagel, qui commandait la manœuvre.

Je revins vite à moi, et je vis qu’on nous débarquait, non au poste, mais à une maison de pêcheurs de l’autre côté du cap. C’était bien vu, puisque c’était le gîte le plus proche. Il s’agissait de continuer à réchauffer ce pauvre corps inerte jusqu’à ce que la rigidité, plus apparente que sensible, se fût dissipée ou prononcée. Je vis employer là par les gens de la côte un moyen très efficace et très ingénieux de réchauffement prompt et complet dont j’ai dû prendre note. Ils rassemblèrent une douzaine de poulies de navire en bois de gaïac, épaves qu’ils recueillent toujours avec soin : ils