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— Parce que vous supposez que le second mari de sa mère sera un homme de mérite, qui la secondera dignement dans cette éducation, qui l’aimera, lui, qui le rendra heureux, qui ne sera pas jaloux de la passion maternelle, qui ne lui préférera pas ses propres enfans… Ah ! que de devoirs sacrés pour un homme de bien ! Mais que les hommes de bien sont rares !

— C’est parce qu’ils sont rares que, si on en rencontre un, il faut ne pas hésiter à le choisir, fût-il le plus pauvre et le plus obscur des hommes. Voilà le conseil que je donnerai à la marquise le jour où elle me consultera.

Cet entretien avec le baron me fit du mal. J’y rêvai toute la nuit, et il me sembla voir en lui une secrète intention d’encourager un rêve de bonheur qu’il avait deviné en moi, ou qu’il cherchait à y faire naître. Et puis je m’épouvantai de ma présomption, et je recommençai à trembler que La Florade ne fût aimé.

Deux jours plus tard, comme, après une nouvelle froidure, le temps était redevenu superbe, Marescat vint nous chercher avec deux voitures pour nous mener tous à la promenade. La marquise connaissait déjà presque tous les beaux sites des environs, et elle nous fit conduire aux grès de Sainte-Anne, au-delà des gorges d’Ollioules, dans une gorge de montagnes qu’elle avait découverte. Les abords en sont pourtant très fréquentés, puisque la route de Marseille passe tout auprès des derniers mamelons de cette chaîne. Les voyageurs ont pu remarquer et les itinéraires signalent une ou deux buttes de forme singulière qu’on prendrait, disent les derniers, pour de gigantesques œufs blancs amoncelés. Ce sont des amas d’un sable très légèrement cohérent, qu’une croûte plus ferme a maintenus en boules pétries et mêlées ensemble à leur base. On commence à exploiter ces sablières pour la verrerie[1], et on les aura bientôt détruites, sans égard pour l’intérêt géologique ; mais ce qui subsistera, ce qui est beaucoup plus intéressant et nullement connu, c’est le puissant rempart de grès friable qui, au temps des grands accidens terrestres, s’est redressé au-delà de ces buttes, qui n’en sont que les derniers remous détachés. Ce rempart ou plutôt cet amas de sable, de deux à trois cents mètres d’élévation, semble s’être arrêté et coagulé entre deux remparts plus solides et plus anciens formés par un redressement calcaire, dernier pli des grands calcaires d’Ollioules. Un cataclysme postérieur ou une action lente a emporté une partie du sable et creusé une étroite et profonde vallée entre les deux parois de l’arête restée debout. Cette arête de grès tendre adossée au calcaire qu’elle empâte et cache en grande partie offre, sur un de ses flancs en particulier, les accidens les plus

  1. On s’en sert à Montluçon, dit-on, pour polir les miroirs.