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man, et puis elle est revenue sur la porte et elle a dit : « Ne faites pas de bruit, il faut que je dorme ! » Nous n’avons pas bougé, et Louise a pleuré tout bas, vrai, mon petit père, Louise a été bien sage !

— Est-ce que ça ne vous étonne pas, me dit Estagel, qu’elle puisse dormir tout d’un coup comme ça après une colère pareille ?

— Si fait, un peu, répondis-je. Restez avec les enfans, distrayez ma petite blessée, faites qu’elle oublie. Je vais voir l’autre malade.

J’entrai, et, ne voyant pas la Zinovèse, je passai dans la chambre voisine et la vis étendue sur un lit, non loin du lit de ses petites filles. C’est là que La Florade avait passé la nuit.

La pièce était très sombre, je ne distinguais que vaguement les traits de la Zinovèse. J’ouvris le volet de la fenêtre, et je fus frappé de la pâleur livide répandue sur les traits de la malheureuse femme. Elle dormait les yeux à demi ouverts, sa peau était froide et comme visqueuse. En cherchant son pouls, je trouvai dans sa main un papier froissé qu’elle voulut machinalement retenir par une légère contraction des doigts, mais que je saisis et me hâtai de lire, certain de trouver là le plus prompt des éclaircissemens. C’était écrit au crayon et en peu de mots : « Ma bien-aimée Nama, fais-moi répondre par Pasquali, je t’en supplie ; je meurs d’impatience et de chagrin. » Ce billet avait été écrit par La Florade, la veille ou le matin même, sur une feuille de son carnet, pour être remis secrètement à Mlle Roque. On a vu qu’il n’avait trouvé aucun moyen de le lui remettre, et dans son trouble il ne s’était pas aperçu de la perte de l’objet compromettant. Il l’avait peut-être laissé tomber près du poste, peut-être oublié dans la chambre des petites filles, où il avait passé la nuit et où il avait dû l’écrire.

Dans cette même chambre, sur ce même lit encore tiède du sommeil de son amant, la Zinovèse semblait mourante. Sans doute elle croyait avoir saisi la preuve d’une intrigue d’amour entre Nama et La Florade, elle avait été en proie au délire ; mais après avoir voulu tuer son enfant, que s’était-il donc passé dans son organisation bouleversée ? Une congestion cérébrale s’était-elle déclarée, ou bien la malheureuse s’était-elle donné la mort ?

Oui, sans aucun doute, elle avait bu du poison, bien que je n’aie pu retrouver ni fiole, ni breuvage, ni aucun indice du fait. Je n’attendis pas ses aveux pour me convaincre. Divers symptômes que j’avais déjà pu étudier sur un autre sujet et les avertissemens donnés par Marescat me fixèrent vite, et je recourus à tous les moyens indiqués par la nature du mal pour le combattre. Je fis emmener les enfans, j’appelai les femmes des autres douaniers, j’envoyai Estagel cher-