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— Précisément.

— Eh bien ! vous ferez attention, si vous pouvez, que la brigadière compose des remèdes qui ne sont pas, c’est moi qui vous le dis, pour faire engraisser ceux qui les avaleront. Depuis deux ou trois jours, elle ramasse des herbes, oh !… mais des herbes que je connais, moi, parce que quand mes chevaux les rencontrent dans leur foin, ils reniflent dessus que vous jureriez qu’ils vous disent : « Ôte-moi ça du râtelier ! » Ainsi, monsieur, la brigadière en veut à quelqu’un, peut-être à plus d’un, et je n’aimais pas hier de la voir, autour de votre fontaine, à regarder couler l’eau qui s’en va sur le chemin. Vous sentez, une mauvaise chose est bientôt jetée avec une pierre ; ça va au fond, ça se pourrit, on boit là-dessus ; ça a beau être de l’eau courante… J’ai été en Afrique, moi, et ailleurs encore, et je sais comment on joue ces tours-là quand on croit au diable. Je suis sûr heureusement qu’elle n’a pas monté jusqu’à la source, qui d’ailleurs est fermée à clé : mais faites-y attention, si elle va encore rôder par là. Faites toujours puiser au creux de la source, et qu’on ne la laisse pas ouverte.

— C’est bien, Marescat, on y veillera : mais à qui donc supposez-vous qu’on en veut ?

— Ah ! vous savez bien que le lieutenant est retourné chez la brigadière il n’y a pas longtemps, et pourtant vous savez bien qu’il aimerait mieux aller tous les jours à Tamaris ! Ça se voit et ça s’entend. Vous me direz : « De quoi te mêles-tu ? » Je ne me mêle pas, je vous dis qu’il faut penser à tout, et voilà tout ! À présent, regardez-moi mes herbes et celles qui poussent là dans ce petit méchant fossé. C’est là que j’ai vu la Zinovèse, pas plus tard qu’hier matin, faisant sa provision, et quand elle m’a entendu marcher, elle a fait celle qui chante et qui ne pense point de mal.

J’examinai les plantes et reconnus diverses variétés d’œnanthe et d’œthuse extrêmement suspectes.

— Il y en a encore d’autres qu’elle rapportait de je ne sais où, reprit Marescat, de manière que je ne peux pas tout vous dire et tout vous montrer ; mais ce n’est pas d’hier qu’elle a commencé à travailler dans les herbes, car un des douaniers qui a les fièvres m’a dit l’autre semaine : — Je ne sais pas si c’est avec ce qu’elle ramasse qu’elle s’est guérie, mais je ne voudrais pas en donner à mon chien.

Tout cela était à considérer. Je remerciai Marescat, et le priai d’aller tout de suite à Tamaris et à la bastide Caire examiner les sources et faire les recommandations nécessaires. J’écrivis un billet au crayon pour que la marquise ne prît pas trop au sérieux cet avis inquiétant et pour lui dire que c’était probablement, de la part de