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core comment prendre notre nouveau sentiment et gouverner son propre cœur ; mais à présent…

— À présent, elle le gouverne moins que jamais,… je te le jure !

— Cela passera ; patience !

— Cela passera d’autant moins, que tu irrites sans doute sa jalousie, tantôt par des mensonges qui ne l’abuseront pas longtemps, tantôt par des aveux insensés qui l’exaspèrent. Pourquoi et comment as-tu cette bague ?

— Parce que j’avais une envie folle de l’avoir. Elle me la montrait avec orgueil ; elle était enivrée des bontés de la marquise, qu’elle admire et qu’elle adore à présent, par parenthèse ; dormez donc en paix sur ce point ! Moi, tout en lui parlant de toi et de la marquise comme de deux bons amis dont je voyais l’union avec plaisir,… tout cela, note bien, devant le mari, qui n’y entendait pas malice, j’ai pris la bague ; j’ai remarqué une petite cassure. La Zinovèse, brusque et nerveuse, l’avait forcée en l’ôtant et en la remettant cent fois. Je lui ai offert de la faire réparer, et j’ai promis de la lui reporter ce soir ou demain. Or, ce soir ou demain, la bague ne sera pas prête, l’ouvrier se sera absenté ; dans quelques jours, j’en aurai fait faire une toute pareille pour elle, et celle-ci me restera.

— Et tu crois que la Zinovèse, avec son œil inquisiteur et sa pénétration agitée, est dupe de tout cela ?

— Si elle n’en est pas dupe, elle se raisonnera et se soumettra. Elle a déjà beaucoup pris sur elle, puisqu’elle a suivi tes ordonnances et recouvré la santé. Elle respecte ses devoirs, elle craint d’affliger son mari, elle craint encore bien plus de m’offenser et de perdre les égards que j’ai maintenant pour elle et dont elle est fière.

— Mon cher ami, c’est possible, mais tu me permettras de ne m’en rapporter qu’à moi-même. J’irai voir le ménage Estagel aujourd’hui, comme par hasard ; je tâcherai de causer avec la femme, et je te réponds de pénétrer ses vrais sentimens et ses intentions bienveillantes ou suspectes.

— Eh bien ! vas-y, répondit La Florade en me serrant les mains. Oui, c’est d’un bon et généreux ami, et je t’en remercie. Il faut que j’aille faire mon service. Si tu restes au Baou-Rouge jusqu’à deux heures de l’après-midi, j’irai t’y rejoindre.

— Alors, rends la bague, confie-la-moi ! Je dirai à Mme  Estagel que cela m’a causé un peu de jalousie, et que tu me l’as remise pour ne pas l’en priver inutilement plusieurs jours.

Je ne pus obtenir ce sacrifice de La Florade. Il mit la bague dans sa bouche et dit qu’il l’avalerait plutôt que de la rendre. Son obstination m’irrita, je craignis de m’emporter, et je l’engageai à obéir