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vois que tu ne veux rien faire pour m’aider à la tranquilliser, puisque tu ne veux rien me dire des résolutions de Mme  Estagel.

— Est-ce que Mme  Estagel a des résolutions ! Mme  Estagel est un enfant terrible, et rien de plus. Vraiment vous lui faites un rôle dramatique qui n’a pas le sens commun !

— Fort bien ; mais ne peut-on savoir ce qui s’est passé entre elle et toi ?

— Tu y tiens ? C’est bien facile à dire, et je ne crains pas que la marquise l’apprenne. J’ai rencontré Mme  Estagel la dernière fois que nous nous sommes vus, toi et moi,… il y a huit jours. Huit jours entiers ! tu te souviens de tes derniers mots, le respect, la soumission, la patience ; j’ai senti que tu avais raison, que tu me conseillais bien, que j’agissais follement, grossièrement, que je me montrais trop, que j’effrayais, et qu’il fallait savoir jouer le rôle d’un homme qui peut se contenir. Énorme hypocrisie ! N’importe ! en amour, Dieu pardonne tout. Je retournais à mon bord avec cette résolution, lorsque la Zinovèse m’est apparue plus belle et plus éprise que jamais. Je me suis dit qu’il fallait faire diversion à ma passion par une amitié de femme, et j’ai renoué celle-là. C’est une amitié, je te le jure sur l’honneur, ce n’est pas autre chose ! C’est un aliment donné à mon imagination et un peu aussi à mon cœur, car je ne sais pas haïr et dédaigner une femme qui m’a plu et qui m’aime toujours. La Zinovèse vaut mieux que tu ne penses. Ce n’est pas une créature sensuelle, c’est une âme passionnée, ce qui est fort différent. Elle ne demandait ni ne désirait de redevenir ma maîtresse. Elle avait des remords de ce passé-là, car elle est pieuse et nullement corrompue ni dégradée. Elle ne réclamait qu’une affection pure, le repentir de mes fautes et un sentiment qui la relevât à ses propres yeux ; je ne me le dissimule pas, c’est surtout son orgueil que j’avais froissé par l’abandon. Tout cela, je le lui devais, et comme dans ces nouvelles relations rien ne s’opposait à ce que je fusse en bons termes avec son mari, j’ai promis d’aller la voir, chez elle, ouvertement, dans sa famille, et j’ai tenu parole. J’y suis retourné trois fois ; j’ai chassé et péché avec le brave Estagel, un digne, un excellent homme ; j’ai mangé chez eux, et hier soir, comme nous avions été loin sur la côte, lui et moi, à la poursuite d’un lièvre endiablé, j’ai passé la nuit sous leur toit, moi dans une chambre où dormaient les deux petites filles, les époux dans une autre chambre. Tu vois que tout est pour le mieux, et qu’il n’y a pas de sujet de mélodrame dans tout cela.

— Pourtant Mme  Estagel est toujours jalouse, et tu le sais, puisque tu avais cru devoir lui dire que j’épousais…

— Oui, sans doute, elle était jalouse d’abord ; elle ne savait en-