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puis il a abordé le rôle important du duc dans Rigoletto et celui de Gennaro de la Lucrezia de Donizetti. M. Naudin, qui a été évidemment élevé avec la musique de M. Verdi, possède une assez bonne voix de ténor qui n’est plus de la première jeunesse, ni d’une entière fraîcheur ; elle est vigoureuse dans les notes élevées, qui ont plutôt l’éclat métallique de la trompette que la morbidesse et la mezza tinta d’un organe assoupli par l’art de la vocalisation. Aussi, dans le joli quatuor de Rigoletto, a-t-il été un peu lourd en chantant l’agréable cantilène : Bella figlia dell’amore, qui sert de fil conducteur aux autres parties ; il s’est trop appesanti sur un motif qui doit flotter légèrement sur le mormorio de l’harmonie.

Après Rigoletto, M. Naudin s’est produit dans la Lucrezia, une des belles partitions de Donizetti. Le nouveau ténor a chanté et joué le rôle de Gennaro avec un peu trop de pétulance, visant trop à l’effet, et criant plus qu’on ne le désire. Il en est résulté des sons de gorge peu agréables à entendre. M. Naudin s’est permis aussi d’intercaler dans la Lucrezia un air appartenant à une autre partition de Donizetti. Ces sortes de licences, si fréquentes en Italie et sur les principaux théâtres italiens de l’Europe, ne sauraient être tolérées à Paris. M. Naudin fera bien de se les interdire, s’il veut acquérir la réputation d’un chanteur dramatique sérieux. Quoi qu’il en soit de notre critique, M. Naudin est une bonne acquisition pour le Théâtre-Italien, ainsi que le baryton Bartolini, qui a du talent et qui articule admirablement la belle langue italienne. On ne peut pas foire le même compliment à Mme Penco, qui a eu d’assez beaux élans dans le rôle de Lucrezia, où la Grisi était si admirable. Mme Penco, qui a un vrai talent, de la passion, du zèle, une voix chaude et sympathique, manque un peu de distinction. Elle a contracté depuis quelque temps un défaut qui tend à s’accroître chaque jour : elle pleurniche au lieu d’exprimer franchement la douleur, et son émotion s’épand en petits sanglots de pensionnaire qui étranglent la phrase musicale et nuisent à l’effet en l’exagérant. Mlle Trebelli a été gracieuse, mais un peu froide, dans le rôle de Maffio Orsini. C’est une belle œuvre que la Lucrezia, composée par Donizetti à Milan en 1833. Bien que l’imitation de Rossini y soit sensible, on remarque dans cet opéra intéressant une vigueur, une passion, un coloris et une égalité de style que le maître n’a retrouvés au même degré que dans son chef-d’œuvre, la Lucia. Tel n’est pas le mérite d’un autre ouvrage du même maître, il Furioso nell’ isola di San-Domingo, qu’on a représenté au Théâtre-Italien le 3 janvier. Écrit à Rome en 1833 pour le célèbre chanteur Ronconi, qui paraît avoir été admirable dans le rôle principal du fou par amour, cet opéra n’est qu’un canevas des œuvres mieux réussies que le compositeur a produites plus tard. On ne peut y signaler qu’une romance de baryton au premier acte et le sextuor qui forme le finale du second acte, et qui a servi de charpente au beau finale de la Lucia. C’est pour M. Delle Sedie qu’on a déterré ce médiocre ouvrage de Donizetti, qu’on aurait dû laisser dans les cartons. M. Delle Sedie, qui est un chanteur de goût et un comédien intelligent,