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et l’influence y ont pour accompagnement obligé la fortune, et quand on y crée des familles de pairs par récompense militaire, on est bien obligé de les apanager. En France, c’est un autre système qui a prévalu sans que l’on se soit aperçu que la vertu militaire ait dégénéré chez nous. Notre ancienne noblesse faisait métier de se ruiner à la guerre ; nos jeunes généraux de la république se battaient pour des sabres d’honneur, et en des temps récens les refus de modestes pensions aux veuves du général Damrémont et du colonel Combes, refus malheureux assurément et regrettables inspirés à nos anciennes chambres par un esprit excessif de parcimonie, ne nous ont pas empêchés de prendre Sébastopol et de vaincre à Solferino. « Les grandes actions, dit avec raison l’empereur, sont le plus facilement produites là où elles sont le mieux appréciées. » C’est le renversement heureux du mot de Tacite au début de la vie d’Agricola : virtules iisdem temporibus optime œstimantur quibus facillime gignuntur ; mais il y a plus d’une manière d’apprécier les grandes actions, et la preuve, c’est que celle à laquelle pensait Tacite n’était pas le système des dons nationaux, c’était simplement le pieux et fier récit de la vie des héros. « A chacun la liberté de ses appréciations, » a dit l’empereur. La publicité même donnée à sa lettre annonçait qu’il n’y avait ni témérité ni inconvenance à user de cette liberté.

Tandis que la question romaine est pour nous une cause de véritable malaise politique, l’Italie, que cette question touche de plus près encore, vient de traverser heureusement une mystérieuse crise gouvernementale. On annonçait depuis quelques jours, dans les lettres de Turin, d’un air discret, que le cabinet Ricasoli touchait à sa fin. On parlait à mots couverts de dissentimens qui auraient éclaté entre le roi et son premier ministre. On exploitait, pour miner le baron Ricasoli, toutes les petites misères du gouvernement représentatif. Ces manœuvres, à notre grande satisfaction, viennent d’échouer, et le ministère italien paraît consolidé. Ce résultat est d’une haute importance, car pour l’ouverture et la bonne tenue des grandes négociations auxquelles la question italienne doit donner lieu, il était nécessaire que les grandes puissances eussent le sentiment qu’elles traitaient à Turin avec un cabinet réellement assis et assuré d’une assez longue existence. Nous croyons que ce résultat, si utile pour la bonne conduite et le progrès des affaires italiennes, eût été plus tôt atteint, si M. Rattazzi se fût servi des avantages de sa position et de sa légitime influence pour fortifier franchement le cabinet existant, au lieu de le laisser s’user en des tiraillemens trop prolongés. Quoi qu’il en soit, cette tactique a fini par tourner à l’avantage de M. Ricasoli. Les amis de M. Rattazzi doivent comprendre aujourd’hui les fautes qu’ils ont commises depuis le commencement de la session. Dans la phase actuelle, M. Rattazzi ne peut être le représentant de l’idée italienne. Les esprits qui se rallient autour de lui sont les hommes de cette ancienne politique piémontaise, tâtonnante, rusée, que l’on appelait plaisamment la politique de l’artichaut, car elle se proposait d’acquérir