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des nouvelles préférences du pouvoir. Resserré dans ces limites, le débat a été passionné, aigri par des personnalités ; mais il a été singulièrement étroit. Qu’ont fait en définitive les organes du parti ultra-conservateur ? Ils voulaient prouver que le pouvoir avait été depuis deux ans inconstant dans ses affections, et, après avoir protégé pendant longtemps les intérêts cléricaux, avait récemment abandonné ces intérêts aux attaques de leurs ennemis. Où ont-ils cherché cette preuve ? Dans le langage de la presse démocratique ou libérale et dans la tolérance dont le gouvernement a couvert les polémiques anti-cléricales. Ainsi, pour établir l’inconséquence, ou les variations, ou la partialité du pouvoir, on est condamné à fouiller de vieilles collections de journaux et à former tout un dossier de ces feuilles éphémères dont l’action politique ne survit pas aux incidens dont elles s’inspirent. N’était-ce point rapetisser et rétrécir un grand débat aux proportions vulgaires d’une guerre de récriminations et de personnalités irritantes ?

Que l’on veuille bien nous croire, si nous disons que, dans les réflexions que nous a inspirées la lecture des séances agitées du sénat, nous sommes bien plus préoccupés des grands intérêts, de la logique de la politique française, de la bonne expédition des affaires du pays, que des dissentimens qui peuvent nous séparer de la politique dominante. On ne nous accusera pas de céder à une mesquine pensée d’opposition quand nous indiquons les causes de l’étrange confusion que nous avons sous les yeux, et quand nous supplions le pouvoir d’examiner attentivement la question de savoir si, en substituant de larges libertés politiques à la pratique gouvernementale actuelle, il ne surmonterait pas des obstacles, il ne conjurerait pas des dangers qu’il est si intéressé à ne pas rencontrer sur son chemin. Sans doute, les attaques de MM. de Ségur-Daguesseau et de Larochejaquelein contre la presse ont fourni à M. Baroche l’occasion imprévue de s’emparer du rôle libéral de défenseur des journaux, sans doute les violentes déclamations dont le sénat a retenti ont procuré un succès de tribune à M. Billault, maître de sa parole lucide et la maniant avec une habile modération ; mais les succès oratoires, succès personnels et journaliers des ministres sans portefeuille, ne peuvent faire perdre de vue au gouvernement les inconvéniens d’une situation étrange. Le gouvernement est investi de trop de pouvoirs, et ces pouvoirs étendent d’une façon trop démesurée le cercle de ses responsabilités. Tout esprit de bonne foi qui voudra bien y réfléchir sera de notre avis. Les responsabilités exagérées que le gouvernement assume dans l’état présent de notre législation politique le compromettent de deux façons. Elles l’exposent à des accusations d’inconsistance et de partialité qui, à la longue, deviendraient pour lui un bien pesant fardeau. Malgré toute l’adresse de leur éloquence, M. Baroche et M. Billault n’ont pu réussir à concilier des faits qui, au moins en apparence et aux yeux de la foule, on ne le contestera point, auront toujours un caractère contradictoire.