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M. Gustave du Puynode a sa place honorablement marquée dans cette courageuse phalange d’écrivains que n’a pu rebuter ni la proscription ni l’indifférence. Indépendant d’esprit, de caractère et de position, vivant presque toujours à la campagne, loin de Paris, au fond d’une de nos provinces les plus agrestes, il n’a jamais brigué ni les succès lucratifs ni les bruyans applaudissemens. Il cultive la science pour elle-même, pour les satisfactions morales qu’elle donne ; aucune considération étrangère ne peut le séduire ou l’intimider. Il s’était fait connaître, il y a près de dix ans, par la publication de deux volumes sur la Monnaie, le Crédit et l’Impôt, qui attestaient les immenses lectures et les réflexions profondes de la solitude. Il a publié un peu plus tard le Voyage d’un économiste en Italie, écrit trop court et trop rapide pour être complet, mais qui tranche par sa nature sur les descriptions banales des touristes ordinaires. Il nous arrive maintenant avec deux volumes où il passe en revue les questions fondamentales de l’économie politique. Ce dernier ouvrage manque un peu d’unité, de nouveauté, d’originalité ; mais ce défaut, qui est celui du sujet, est racheté par l’abondance des développemens, la multiplicité des faits et des preuves, l’enchaînement des déductions, et surtout par ce ton de franchise consciencieuse qui persuade avant de convaincre.

Le dirai-je cependant ? avec les qualités que donne l’indépendance, M. du Puynode en a aussi les défauts. Sa logique est rigoureuse et inflexible, il ne recule devant aucune conséquence des théories qu’il a une fois admises. » Je n’ai point, dit-il lui-même, cette sagesse qui consiste, tout en proclamant les principes de la science, à s’accommoder aux opinions qui les repoussent, non plus qu’aux usages qui les condamnent. Les sciences ont d’autres exigences que d’arbitraires caprices ou de mobiles convenances. » Posée en ces termes, la question ne peut faire aucun doute ; mais ce n’est pas toujours ainsi qu’elle se présente. Les principes de l’économie politique, comme de toute autre science, rencontrent dans leur application d’autres résistances que d’arbitraires caprices ; l’économie politique travaille sur le vif, et ce n’est pas une consolation pour les malades que de mourir suivant les règles, comme disait Molière. M. du Puynode, qui a beaucoup d’estime pour Rossi et qui le cite souvent, oublie la distinction fondamentale que cet habile économiste, qui était en même temps un homme d’état éminent, établissait entre l’économie politique considérée comme science et l’économie politique considérée comme art, ou en d’autres termes entre la théorie pure et l’application immédiate.

Même au point de vue de la science proprement dite, les esprits les plus radicaux ne sont pas toujours les plus scientifiques. Toute science est une abstraction ; elle étudie à part un ordre de faits, en le séparant, en l’isolant de tous les autres ; le véritable savant ne doit jamais oublier que ces faits n’existent pas seuls dans la nature, et qu’à côté d’eux il s’en développe d’autres qui ont aussi leurs lois. J’avais dans ma jeunesse un professeur de