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sent par le petit commerce. Quant au préjugé, des personnes de New-York avaient tâché de le justifier à mes yeux en me disant que l’impudicité précoce des négresses était répugnante, et qu’une mère de famille ne pouvait souffrir dans sa maison, sous les yeux de ses filles, ces créatures provoquantes ou passives qui ne savent rien refuser et rien cacher. C’est fort bien ; mais, tout en me rappelant ces réflexions, je regardais sur le bateau un jeune couple de Yankees qui mangeaient dans la bouche l’un de l’autre à la face de tous. Non, les Yankees ne donnent pas aux nègres l’exemple de la pudeur.

Cette journée a été encore embellie par un terrible jeûne : on devait dîner à cinq heures à Westpoint, et, pendant que le prince visitait l’école militaire, je me suis échappé dans la campagne. J’ai flâné sur les bords de l’Hudson et dans le fleuve même, cherchant des insectes, que je n’ai pas trouvés, il faisait trop de brume ; mais les bois, pleins de rochers et d’arbres inconnus chez nous, m’ont donné des chenilles curieuses et intéressantes. Au beau milieu de mes recherches, j’ai vu l’école extérieurement, grande caserne avec belle vue sur le fleuve. Elle est entourée de pelouses et d’arbres plantés en quinconce, où reposent sur l’herbe quelques chariots d’artillerie. Je me rappelle pourtant qu’il faut rentrer, et quand j’arrive, on avait dîné et on partait. Je pars aussi, le ventre creux, mais ma sacoche est bourrée de croquis, de fleurs, parmi lesquelles je reconnais la balsamine biflora, et de graines d’asclépias, d’érable, de chêne, de noyer et d’arbrisseaux exotiques que je me promets de planter chez nous, enfin toute uns forêt en germe. Quand on aime la nature, il faut être philosophe. Nous partons en chemin de fer pour New-York, où nous arrivons à neuf heures.

New-York, 20 septembre.

Me voici à bord, après avoir fait à New-York un somme digne d’un animal antédiluvien. Il fallait réparer tout ce qui m’a manqué dans notre tournée et s’approvisionner de repos pour la traversée que nous allons reprendre. — Promenade avec Saintin, un aimable peintre français que j’ai connu pendant mon premier séjour ici. — Dîner chez le chevalier Bertinatti, ministre du roi d’Italie, un véritable Italien des plus sympathiques. — Adieux à M. Mercier, à M. de Montholon, notre brave consul, et à sa charmante famille. — Sérénade donnée à la princesse Clotilde par les Italiens, en gros steamboat, dans la rade, à minuit. — Le navire anglais en station échange avec nous des politesses sous forme de feux de Bengale verts. — New-York ne nous adresse aucune espèce d’adieu. Cela