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six mille lieues à toute vapeur
Saint-Louis, 4 septembre.

Aujourd’hui cent vingt lieues de prairie en douze heures, sans rencontrer un arbre, un buisson, un caillou, — de l’herbe, toujours de l’herbe : quel pâturage ! mais aussi quels troupeaux paissent dans ces prés sans limites ! Les bisons s’y promènent, dit-on, par bandes de cinquante mille ; nous n’avons pas eu la chance d’en rencontrer. Quelques cabanes se dressent très loin les unes des autres le long de la voie ferrée. Ce sont des stations ou des fermes toutes nouvelles.

La compagnie du railway de l’Illinois a acheté une zone de 700 000 acres de terrain, sur une largeur de 20 acres, de chaque côté de la voie, et elle revend ces terrains en détail, à des prix qui varient de 6 à 25 dollars l’acre, suivant la valeur du sol. M. Osborn, un des directeurs-propriétaires de la ligne que nous parcourons, demande au prince de vouloir bien baptiser une ville qui n’a encore qu’un gros pieu fiché en terre pour tout monument et les sauterelles pour habitans. Clotilde sera le nom de la cité future.

Au milieu de ces déserts, on nous montre l’échantillon d’un nouveau produit dans cette partie de l’Illinois. C’est un essai tout récent qui peut avoir de grandes conséquences dans la crise actuelle, un cotonnier fraîchement arraché du sol et mis en pot. À cet échantillon est jointe, comme spécimen, une grosse botte de tiges en fleur et en graine. C’est le cotonnier purpurin (gossypium purpurascens), sous-arbrisseau de la famille des malvacées, à tige unique herbacée, à feuilles trifoliées lancéolées, pubescentes en dessous, alternées. De son calice en gobelet sort une belle fleur à cinq pétales d’un rose pourpre, avec capsules à trois loges où la graine est enveloppée dans les filamens cotonneux. On le sème, comme dit Rabelais en parlant du chanvre, « à la nouvelle venue des hirondelles ; on le récolte lorsque les cigales commencent à s’enrouer. » C’est en septembre et en octobre que les carpelles s’ouvrent et laissent apparaître le coton, qui s’échapperait, si bon esclave ne le surveillait de près, avec plus de soin que ses propres enfans. La tige atteint deux mètres de haut, quand elle rencontre un terrain léger, humide, et un soleil chaud ; mais les échantillons que j’ai sous les yeux n’ont guère qu’un mètre.

Te voilà donc, roi Coton ! me disais-je en regardant la fatale plante. Ce n’est pas trop ta faute si les hommes s’entr’égorgent pour toi, et si l’esprit de haine et de rivalité vole maintenant d’un bout à l’autre des États-Unis, car tu viens de Dieu, comme tous les dons de la nature, et fort innocemment tu prospères sous la sueur du nègre ; mais foin de toi, si tu ne peux vivre que par les mains de