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six mille lieues à toute vapeur

missionnaires français s’y étaient établis dès le milieu du xviie siècle. La petite ville, composée d’une seule rue, datant de deux cents ans, est donc une vieille cité pour l’Amérique. On y compte huit cents habitans. La garnison anglaise y fut massacrée au siècle dernier par les Sioux. Aujourd’hui il n’y a plus réellement que quelques métis installés dans des huttes le long du rivage, et Mackinaw a néanmoins une certaine importance par son emplacement géographique, qui en fait un point de relâche pour les bateaux à vapeur et un entrepôt de commerce avec les Indiens. À cent pas du rivage, au pied d’une falaise de roche siliceuse, l’hôtel de la Mission est aujourd’hui le rendez-vous de la fashion américaine. On y vient plutôt pour respirer l’air pur que pour prendre des bains dans le lac, dont les eaux sont froides. « L’effet du climat est merveilleux, dit un journal indigène, l’appétit grandit vite, les formes déjetées deviennent droites, les membres rhumatisés, ainsi que les bras, deviennent plus forts, le sommeil vient sur les yeux fatigués, les rides quittent votre face sillonnée, vos yeux s’épanouissent dans une nouvelle clarté, et si vous êtes un homme pieux, vous récitez vos prières avec une voix plus forte et avec une plus grande onction. Ce favorable changement se déclare dès le commencement de la saison, c’est-à-dire dès le 1er avril, et continue, sans défaillance ni rechute, jusqu’au 1er octobre. »

Tu reconnais dans cette manière de réclame la grosse caisse de tous les établissemens du même genre. En France, on n’est pas beaucoup plus sobre en fait de promesses, surtout dans le midi ; seulement ici on est blagueur du nord au sud, de l’est à l’ouest. Comme aucun de nous n’est ni rhumatisé, ni bossu, ni privé d’appétit, nous risquerions fort de crever de santé, si nous restions longtemps à Mackinaw ; mais nous devons partir ce soir par le premier bateau qui passera. On dit qu’il en passe cinq par jour, on dit aussi qu’il n’en paraît quelquefois pas un seul de la semaine : nous voilà renseignés à l’américaine !

Dès le matin, je vais, comme Robinson Crusoé, à la découverte de notre île. Elle est habitée, car voici des naturels qui, assis par terre, rêvent en regardant l’horizon. Leurs traits sont un peu moins accentués que ceux des Chippeways de Bayfield. L’île est couverte de taillis de charmes, de minces érables, de genévriers et de conifères rachitiques, dont le branchage tombe éploré sur un gazon de chiendent et de marguerites. À la pointe de l’île, au milieu de la verdure, un rocher forme une grande arcade naturelle qui a beaucoup de physionomie. Durant ma promenade, au milieu des noisetiers et des groseilliers sauvages, dont les fruits n’ont pas de goût, je rencontre des serpens noir et jaune qui fuient avec tant de rapi-