Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/129

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en tout trois millions d’âmes ; mais la Prusse elle-même, craignant d’autoriser par un tel exemple un accroissement bien plus considérable de sa rivale, a proposé bientôt après à la diète de faire sortir de la confédération ces provinces, introduites en 1848. D’ailleurs, l’Europe n’ayant pas sanctionné la première décision, elle est restée vis-à-vis du droit public européen comme non avenue ; pour plus d’une raison, comme on voit, l’Autriche ne saurait s’en prévaloir.


Telle est l’anarchie dont souffre en ce moment l’Allemagne. D’un côté se manifeste une tendance excessive vers l’unité, puis vers l’envahissement et la conquête. C’est du camp des unitaires que sortent par intervalles des cris de guerre, c’est là qu’on rêve de donner à la flotte allemande la rade de Kiel, objet de tant de vœux, et d’annexer le Slesvig-Holstein ; c’est là aussi qu’on s’entretient dans la pensée d’une campagne au-delà du Rhin et qu’on redemande naïvement l’Alsace et la Lorraine. Une des deux grandes puissances allemandes s’est laissé séduire aux utopies de ce parti ambitieux ; elle peut juger aujourd’hui des alarmes et des résistances qu’elle a suscitées dans le sein de la confédération. De l’autre côté, le sentiment d’indépendance qui anime chacun des nombreux états réunis par le lien fédéral s’est réveillé devant le danger qui le menaçait, et une ligue s’est formée pour s’opposer à celle qui s’est donné le titre de nationale et pour maintenir les droits issus de la constitution. Si l’Autriche s’est laissée aller, au milieu de cette lutte, à exprimer, elle aussi, une espérance excessive dont elle ne peut certainement attendre la réalisation facile ni prochaine, c’est un nouveau témoignage de cette tendance des Allemands à se précipiter dans l’idéal, tandis que les démonstrations de M. de Beust resteront et produiront leur effet comme témoignage du particularisme germanique.

Il n’est pas toujours facile de conclure avec les Allemands ; cependant il est permis de penser d’abord que l’agitation présente, suscitée ou réveillée par l’épisode de 1859, n’aura pas immédiatement de suites considérables et n’amènera pas d’éclat prochain, parce que l’esprit germanique sait rester en suspens entre les excès, qu’il corrige l’un par l’autre. Secondement on ne saurait se refuser, il est vrai, à reconnaître certains progrès de l’unité nationale en Allemagne. Déjà 1815 avait transformé l’ancien empire allemand, qui avait compté jusqu’à dix-sept ou dix-huit cents souverainetés particulières, dont environ 270 représentées dans la diète, en une confédération de quarante et un états. Depuis 1815, six de ces états ont disparu : Saxe-Gotha, partagé en 1825 entre les autres Saxes ; Anhalt-Coethen, réuni en 1847 avec Anhalt-Dessau ; deux