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nade qui n’est pas exorbitante, d’autant plus qu’on peut la faire en grande partie à dos de quadrupède, et je la conseille à tous les amans de la nature pittoresque. La grande masse, brusquement coupée, ne plonge pas dans la mer : une vaste plaine et des falaises l’en séparent ; mais elle est assez élevée pour dominer toutes les hauteurs environnantes et pour que la vue embrasse tout le littoral de Marseille jusqu’à Nice. Les Alpes montrent leurs cimes neigeuses à l’horizon est, et on y distingue à l’œil nu les fortes brisures du col de Tende.

Mais ce n’est pas l’étendue qui fait, selon moi, la beauté d’un tableau, c’est la composition, et celui-ci est un des mieux composés que j’aie vu. Ces rives austères, hardiment festonnées de la région toulonnaise, ne paraissent pas de petits accidens en face de la mer incommensurable, car ces festons sont des golfes et des rades d’une étendue majestueuse et d’une grâce de contours parfaite. Leur grâce a cela de particulier qu’elle n’est jamais empreinte de mollesse ; partout des falaises puissantes font ressortir les plages adoucies, et partout le dessin trouve le moyen d’être imprévu en restant logique.

Il était huit heures du soir. Le soleil couchant abreuvait de ses splendeurs la mer et le continent. Quand j’eus savouré ce spectacle, je me retournai pour voir l’aride Provence dans l’intérieur des terres. Je ne vis par là que chaînes dénudées se perdant à l’horizon en lignes sombres, quelques-unes si droites qu’on les eût prises pour des murailles sans fin. Ce sont ces hauteurs stériles, complètement inhabitées sur une étendue de dix à douze lieues, que dans le pays on appelle proprement le désert. Entre ces désolantes masses et moi, les reflets du couchant s’éteignaient rapidement sur de larges abîmes de verdure coupés de collines fertiles et d’accidens calcaires fort étranges, sur des cirques de monticules coniques portant ou semblant porter un ou plusieurs cônes plus élevés au centre, mais tout cela sur une grande échelle, reposant sur des plateaux très vastes, et renfermant des lits de torrens, des gouffres, des vallons profondément creusés, et des cultures ondoyantes ou des abîmes impénétrables. Il n’y a pas de grandes élévations en Provence : le Coudon lui-même n’est qu’une montagne de troisième ordre ; mais le dessin de ces aspérités est toujours fier et large. Le laid même, car il y a de très laides régions, n’a rien d’étroit et de mesquin.

Je jetais un dernier regard sur le panorama maritime, quand je me rappelai que de Tamaris Mme d’Elmeval regardait tous les soirs au coucher du soleil la cime où je me trouvais. Je l’avais regardée avec elle une fois justement à l’heure où le pic recevait le reflet rose vif du couchant. Nous l’avions vu devenir couleur d’ambre, puis d’un lilas pur, et enfin d’un gris de perle satiné à mesure que le