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L’agitation pour la flotte allemande telle qu’elle a été organisée n’a été, dit-on, qu’un coup de désespoir du National Verein. Issu de la vieille école du parti de Gotha, il avait contracté tout d’abord, en vue de l’unité allemande, une alliance peu réfléchie et peu profonde avec la démocratie. Au nord, où il rencontrait le plus grand nombre de ses adhérens, il avait proclamé par ses principaux organes que l’Allemagne devait s’absorber tout entière dans la Prusse, pour le plus grand bonheur de la patrie commune. Dans l’Allemagne centrale et dans l’Allemagne méridionale, où il ne recrutait d’alliés que parmi les démocrates, on l’avait entendu déclarer que c’était à la Prusse de se fondre dans l’Allemagne ; au seul prix d’un tel changement de langage, il pouvait espérer là d’être accueilli. Une base si incertaine ne devait supporter qu’un fragile et incomplet édifice : après deux années d’agitation et d’efforts, la société comptait, lors de sa dernière réunion générale à Heidelberg, en août 1861, 15,000 membres sur 34 millions d’Allemands ! De ces 15,000, 8,000 avaient été recrutés en Prusse, dans le royaume le plus directement intéressé au succès de l’œuvre. C’était un échec complet. Les meneurs songèrent alors à un autre moyen d’agitation : ils imaginèrent de recueillir de l’argent pour une flotte allemande ; mais cette flotte, jusqu’à l’organisation d’un pouvoir central unitaire, serait placée sous le commandement de la Prusse ; la Prusse s’augmenterait ainsi d’une force considérable, dont elle profiterait pour avancer l’œuvre de l’unité. C’est ici que commencent les objections et les reproches. — Votre préoccupation de faire d’abord construire des chaloupes canonnières, dit-on au National Verein, trahit trop évidemment votre partialité pour la Prusse. Ce sont de grands vaisseaux qu’il faut à l’Allemagne, pour protéger son commerce au loin et pour faire respecter son drapeau comme celui d’un grand peuple dans les crises européennes. Vos chaloupes ne servent à rien pendant la guerre, et elles sont d’un ruineux entretien pendant la paix ; donnez-nous des corvettes et des frégates, un navire de guerre dans la Méditerranée et dans le Levant, un sur la côte occidentale de l’Afrique, deux dans la mer des Indes, un dans l’Inde occidentale, un dans le Pacifique. Or, pour une telle entreprise, nécessaire et souhaitée, il faut beaucoup de temps et beaucoup d’argent ; c’est un mauvais calcul de se confier à une seule puissance et de perdre du temps, de l’argent, des peines à des desseins partiels, à des constructions inutiles. La Prusse doit appeler tous les états de l’Allemagne à cette œuvre au lieu de se la réserver, par une vue étroite d’intérêt, à elle seule, car cette œuvre est immense, et la Prusse est fort mal préparée à l’accomplir. D’abord la Prusse est mal dotée par la nature ; de plus, elle s’est montrée