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en Allemagne. Il y a un bon nombre d’esprits au-delà du Rhin qui, à voir certains grands peuples du continent si agiles, si prompts à l’action, si facilement affranchis, de beaucoup de liens, s’irritent à la vue des ressorts compliqués de la machine germanique, et voudraient lui rendre la liberté de ses mouvemens. Le plus sûr et le plus court moyen serait sans aucun doute de procurer à l’Allemagne une centralisation toute contraire, il faut l’avouer, au régime fédéral. Ce parti l’a reconnu tout d’abord, et sans hésitation comme sans scrupule il est entré dans la voie qui paraissait conduire à ce but. L’abaissement de l’Autriche en 1859 et l’inaction de l’Allemagne en présence de cet abaissement, après avoir justifié de nouveau ses desseins à ses yeux, lui avaient désigné la Prusse comme pouvant devenir entre ses mains un instrument énergique et utile. Le National Verein, qui lui servait d’organe, entreprit donc de donner à cette puissance l’hégémonie incontestée de l’Allemagne ; il demanda que les petits souverains de la confédération abdiquassent en sa faveur, que toute l’organisation militaire fût réunie dans sa main, ainsi que toute la représentation diplomatique au dehors. C’étaient là les premiers vœux qu’on exprimait, ce n’étaient pas les seuls qu’on eût formés ; une certaine centralisation, grâce à une simple hégémonie, n’eût bientôt plus paru suffisante ; une entière unité serait devenue nécessaire, dussent y périr un jour beaucoup de libertés. La Prusse se laissa sans trop de résistance aller aux tentations qui lui étaient offertes ; elle se mit à conclure avec les petits états des conventions à part, absorba des contingens militaires, acquit çà et là des droits de protection, ourdit une trame enfin qui ne se montrait pas au grand jour. Plus tard, M. de Beust, au nom des états secondaires, devait la forcer à s’expliquer et à se découvrir ; on avait pu toutefois deviner à l’avance qu’elle nourrissait encore, comme en 1850, des projets d’union restreinte, dût-elle mutiler l’Allemagne par une exclusion arbitraire de l’Autriche, dût-elle acheter à ce prix le triomphe de son ambition et celui de l’unité : idéalisme chimérique, contre lequel le particularisme inné au caractère germanique ne tarda pas à protester. Le récit de ces protestations est le tableau même des agitations intérieures qui troublent en ce moment l’Allemagne.

On reproche d’abord à la Prusse l’incertitude de sa politique au milieu de ses rêves d’ambition. Après 1848, dit-on, elle a déjà trompé les espérances de ses plus zélés partisans, alors que toute la nation lui laissait le champ ouvert. Elle a donné bientôt après de nombreux gages à la réaction[1]. La régence, l’avènement du loyal et honnête

  1. Est-il besoin de renvoyer le lecteur aux études de M. Saint-René Taillandier, qui ont fait connaître dans la Revue les épisodes auxquels nous faisons allusion (1er juillet et 1er août 1856) ? Avec les excellens travaux de M. Hippolyte Desprez dans les premiers volumes de l’Annuaire des Deux Mondes, et de M. Forcade (Revue du 1er décembre 1854). ce sont les meilleures sources à consulter en dehors de l’innombrable série des documens allemands.