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générale des Allemands. Avec les deux grands instincts de leur race, les Germains du moyen âge ont accompli leur glorieuse mission. Tacite, qui les étudie et les décrit dès le Ier siècle, admire, en détournant les yeux du despotisme administratif de l’empire, le noble sentiment d’indépendance qui les anime. Quand les sujets de Rome sont comptés comme de vils troupeaux, il s’étonne que l’individu tienne ici tant de place ; lui, le généreux avocat de la conscience humaine, il ne soupçonnait pas tant d’alliés ; il a entrevu dans le particularisme germanique le germe d’une société nouvelle que le souffle du christianisme fécondera. Mais plus tard avec quelle vaste ambition l’idéalisme germanique s’affirme lui-même ! Après que Charlemagne, pour avoir mis un terme aux invasions et constitué l’Europe moderne, s’est intitulé, non sans droit, le successeur et l’héritier de Rome païenne, il faut à ce germanisme, une fois enfermé dans les limites plus étroites de l’Allemagne proprement dite, la domination du monde, et il prétend imposer à Rome chrétienne elle-même sa suzeraineté. Le saint empire romain de la nation germanique transporte les armes allemandes chez tous les peuples voisins et jusqu’aux dernières limites de l’Italie. Pourtant il ne sait rien fonder nulle part et ne cesse d’être une forme vide, qui, sans correspondre à aucune véritable unité politique, recouvre au contraire l’extrême division de la féodalité florissante. C’est au moment où Charles-Quint aspire à la domination universelle en s’armant des deux glaives que la révolution religieuse du XVIe siècle fait éclater le triomphe du sens individuel en Allemagne. Les convulsions de la guerre de trente ans enlèvent ensuite au germanisme toute prépondérance politique et presque toute unité nationale, et sa décadence n’est arrêtée pendant le XVIIIe siècle que grâce à l’essor d’une nouvelle puissance allemande qui s’efforce de réagir par un génie tout moderne.

Tant de vicissitudes ont démontré deux choses : la première, que l’Allemagne est faite au dehors pour la défensive et non pas pour l’attaque ; la seconde, que la forme de gouvernement intérieur qui lui est naturelle n’est autre que la forme fédérale. Nul autre gouvernement n’est plus apte à satisfaire à la fois le particularisme et l’ambition nationale. Il procure un lien suffisant pour qu’une certaine unité soit acquise, et en même temps il entretient et nourrit la flamme des libertés individuelles. Il faut à celles-ci leur satisfaction dans la constitution allemande. Les Germains de Tacite affectaient déjà cette indépendance et refusaient de se grouper tous ensemble sous la main d’un seul maître, colunt discreti ac diversi… Les Allemands du moyen âge firent de même, chaque tribu reconnaissant un chef ou duc particulier soumis de fort loin à l’autorité