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breuses bonnes fortunes qui faillirent lui coûter plus cher encore que sa magnifique voix de soprano. Il ne reconnaissait qu’un rival : c’était son compatriote Farinelli, dont il parlait avec éloge, en disant de sa faveur à la cour d’Espagne : « Il la mérite, car c’est un grand homme et une bien belle voix! »

Nés tous les deux dans le royaume de Naples, morts à un an de distance l’un de l’autre, et tous les deux élèves de Porpora, qu’ils ont laissé dans la misère, Farinelli et Caffarelli ont été les deux chanteurs les plus étonnans du XVIIIe siècle. L’histoire de leur vie et de leur talent résume tout ce qu’il y a eu de plus merveilleux dans l’existence de ce curieux phénomène des sopranistes. Caffarelli était surtout remarquable par l’immense étendue de sa voix de soprano très élevée, par la flexibilité de cet organe, par le luxe de la vocalisation et la grâce de sa personne. Il prodiguait les trilles, les grupetti, les mordans, les appoggiatures, tous les artifices de cette fine joaillerie vocale qui était à la musique dramatique, telle que Gluck la rêvait alors, ce que le style brillante de l’orfèvrerie française sous Mme de Pompadour était au dessin exquis des vases et des bijoux antiques. Froid comédien, acteur maladroit, ainsi que nous l’apprend Métastase, Caffarelli fut un bel oiseau de paradis, dont le ramage ravissait l’oreille sans toucher le cœur. Farinelli au contraire avait une méthode plus châtiée, une manière plus large et plus sobre, que traversait un rayon de douce mélancolie. Les bons avis qu’il avait reçus de Bernacchi et de l’empereur Charles VI, au commencement de sa carrière, avaient épuré son goût, et lui avaient fait rejeter une foule d’oripeaux qui surchargeaient son style. Sa nature morale, qui était plus saine et meilleure que celle de l’orgueilleux et insolent Caffarelli, a pu lui faire entrevoir l’analogie qui existe entre la simplicité du vrai et la simplicité du beau. Quoi qu’il en soit, Farinelli a été, dans l’art de chanter, l’expression la plus exquise de la grâce légèrement émue, tandis que Caffarelli fut un prodige de bravoure, un paon dont le froid ramage égalait l’éclat de son beau plumage.

Au second acte du Barbier de Séville de Rossini, Bartolo dit, après la leçon de chant donnée à Rosine par don Alonzo : « Dans mon temps, c’était une bien autre musique! Lorsque le célèbre Caffarelli chantait le fameux air : — Quando il famoso Caffariello cantara quell’ aria portentosa... » Les quelques mesures d’une mélodie vieillotte que murmure ensuite l’astucieux tuteur sont une espièglerie du grand maestro. La musique que chantait Caffarelli n’était ni si simple ni si primitive. On se ferait une idée plus exacte du style et de la manière de chanter de ce merveilleux sopraniste en le comparant à Mme Persiani, que nous avons entendue pendant tant d’années au Théâtre-Italien de Paris. Cette cantatrice éminente, qui a créé le rôle charmant de Lucie dans le chef-d’œuvre de Donizetti, prodiguait les ornemens les plus compliqués et les plus difficiles dans les morceaux les plus touchans et dans les situations les plus pathétiques. Je me figure donc