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s’écria d’un ton superbe, au milieu du parterre silencieux : — Bravo, Gizzielo, è Caffarelli che tel dice (bravo, Gizzielo, c’est Caffarelli qui te le dit). — Ce trait et bien d’autres encore, que nous aurons occasion de rapporter, prouvent que la modestie n’était pas la qualité saillante de ce virtuose. En 1740, Caffarelli fut mandé à Madrid par son illustre compatriote Farinelli, à l’occasion des fêtes pour le mariage de l’infant. Il y était avec une cantatrice nommée la Pernozzi, ainsi que le rapporte le président de Brosses dans ses Lettres sur l’Italie. Après la victoire de Velletri, remportée par le roi de Naples Charles VII, qui fut plus tard Charles III d’Espagne, il y eut de grandes fêtes où Caffarelli chanta sur le théâtre de Saint-Charles avec Gizzielo, qu’on avait fait venir de Bologne. Une lutte assez pacifique s’engagea entre ces deux virtuoses, dont l’un brillait surtout par le sentiment, et l’autre par l’éclat de la vocalisation. En 1745, Caffarelli se trouvait à Vienne, où il créa le rôle d’Énée dans la Didone abbandonata de Métastase, mise en musique par Jomelli. Il résulte d’une lettre de Métastase adressée à la princesse Belmonte, de Naples, que Caffarelli était un assez mauvais comédien. Voici les propres paroles du célèbre poète : « Le jour anniversaire de la naissance de notre souverain, l’empereur Charles VI, on a représenté ma Didon abandonnée, ornée d’une musique nouvelle qui, avec justice, a surpris et enchanté toute la cour. C’est une musique remplie de grâce, de science, d’harmonie, et surtout d’expression. Tout y parle, jusqu’aux violons, jusqu’aux contre-basses (tutto parla sino a violini e a contrabbassi). — Je n’ai pas entendu dans ce genre une chose qui m’ait plus vivement touché. L’auteur est un Napolitain qui se nomme Nicolas Jomelli. La Tesi, qui chantait Didon, est rajeunie de dix ans ; Énée, représenté par Caffarelli, est devenu comédien, quantum Caffareliani fragililas potitur, et un Allemand nommé Raff, excellent chanteur, mais froid comédien, a réussi dans le rôle de Jarba, »

Les éloges que fait Métastase de l’œuvre de Jomelli sont curieux, en ce qu’ils donnent une idée de l’état où se trouvait alors l’orchestre des opéras italiens et des améliorations qu’y a introduites Jomelli, qui a été l’un des premiers compositeurs dramatiques de son pays à se préoccuper de cette partie importante de l’art. Caffarelli, qui était très orgueilleux et très infatué de ses succès comme chanteur et comme zerbino d’amore, eut à Vienne un démêlé très grave avec le directeur du théâtre où il chantait. Le sopraniste fougueux voulait se battre à l’épée contre l’impresario, qui se laissa fléchir par la Tesi et par ses propres intérêts, qui eussent été fort compromis, s’il avait percé le merveilleux gosier qui enchantait la cour et la ville de Vienne. Casanova, qui se trouvait à Turin en 1750, y entendit Caffarelli et l’Astrua, cantatrice célèbre aussi par l’éclat de sa vocalisation. Voltaire, qui vit l’Astrua à Berlin, où elle est restée pendant plusieurs années, parle de cette cantatrice dans une lettre à Mme Denis, sa nièce : « Mlle Astrua est la plus belle voix de l’Europe ; mais fallait-il vous quitter pour un gosier à