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portance extrême qu’il attachait à la partie matérielle du mécanisme vocal. Dans cet âge héroïque de l’art de chanter, un sopraniste visait avant tout à étonner le public par les prodiges de son gosier, par l’éclat et la richesse des ornemens mélodiques. Aussi Porpora tenait-il longtemps ses élèves à l’étude du solfeggio avant de leur permettre de s’occuper des paroles et de l’expression morale du sentiment. C’est à Caffarelli, semble-t-il, que s’applique plus particulièrement l’anecdote souvent citée de cinq années consacrées à l’étude exclusive d’une seule page de musique qui contenait tous les exercices possibles de vocalisation. Le jeune Caffarelli, s’impatientant de dire toujours la même chose, aurait demandé à Porpora quand il lui serait permis de renouveler la page et de passer, comme on dit, à un autre exercice. « Lorsqu’il en sera temps, » aurait répondu brusquement le maître. Un jour cependant Porpora, complètement satisfait de son élève, lui aurait dit : « Va, mon enfant, je n’ai plus rien à t’apprendre; tu es le premier chanteur du monde. » — Quoi qu’il en soit de l’authenticité de cette anecdote souvent rapportée, elle prouve du moins l’importance qu’on attachait alors à l’étude du mécanisme vocal.

Après avoir acquis à Naples la réputation d’un écolier plein d’avenir, Caffarelli aurait été engagé au théâtre Valle, à Rome, où il aurait fait ses débuts par un rôle de femme en 1724. Le docteur Burney fait débuter Caffarelli en 1726 dans un opéra intitulé Valdemaro. Ce qui est certain, c’est que la belle voix du sopraniste, sa jeunesse et la grâce de sa personne lui valurent un éclatant succès qui rappelait celui que Farinelli avait obtenu dans la même ville quelques années auparavant. Dans cette même année 1726, Porpora, traversant Rome pour se rendre à Venise, écrivit la musique d’un opéra, Germaniao in Germinia, où Caffarelli avait un rôle important. Il y chantait surtout un air :

Serba costante il core,
Ché di mia spada al lampo
L’altero vincitore,
Vedrai cader sul campo,
Chi dendo in van pietà,


où le virtuose excitait une vive admiration. On aurait tort de croire avec Villarosa, dont le jugement en ces matières n’a aucune autorité, que cet air de Porpora, que chantait Caffarelli avec un si prodigieux succès, fût d’un style sévère et pathétique. « Porpora fit valoir la voix de Caffarelli, dit le biographe que nous venons de citer, en donnant aux paroles toute l’expression voulue, sans charger la mélodie d’ornemens futiles qui fussent en contradiction avec le sentiment; » dundo a queste parole lutta la dovuta espressione, senza caricare il cantante da volate di passaggi ed obliar il sentimento[1]. C’est juste le contraire de la vérité, car la musique de Porpora

  1. Memorie dei compositoci di Musica del regno di Napoli, p. 169.