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pardonné les torts qu’ils ont eus autrefois envers l’héritier présomptif. Les préférences personnelles du roi de Prusse sont pour les hommes au libéralisme circonspect, mais loyal, qui formaient la dernière administration. Un incident étrange, la publication d’une lettre écrite par le ministre des finances, M. von der Heydt, au ministre de la guerre, a révélé dans le cabinet actuel des intentions qui ne donnent pas lieu de craindre que, lors même que les élections assureraient la victoire au parti libéral, le gouvernement pût se laisser emporter à des extrémités réactionnaires. La lettre du ministre des finances a été surprise dans les bureaux de son collègue et imprimée dans un journal. Berlin est la ville des larcins de ce genre. On se souvient des soustractions de papiers importans qui furent faites dans le cabinet de l’ancien roi. Quoi qu’il en soit, le document émané de M. von der Heydt était si bien fait pour calmer les inquiétudes publiques, il annonçait de si bonnes résolutions pour la réduction des dépenses militaires et touchant le mode de votation du budget qui doit être accordé aux chambres, que l’on a cru le ministère prussien plus capable d’avoir lui-même cherché à divulguer par une voie détournée son secret que de se l’être laissé dérober par une négligence ou une infidélité administrative. Que la mauvaise humeur témoignée par le ministère à l’occasion de la soustraction de cette lettre ait été sincère ou feinte, le résultat de la publication de cette pièce n’en a pas moins été favorable dans l’opinion. Il semble que le gouvernement ait cherché à supplanter le parti libéral en matière de popularité ; ce parti dans tous les cas peut compter, si les élections lui donnent la prépondérance, qu’il ne rencontrera point dans les conseils du gouvernement une résistance désespérée.

Ce n’est point en ce moment un des moindres contradictions de la politique germanique que les tracasseries éternelles suscitées au Danemark par les cours allemandes. Un peu plus ou un peu moins, les deux grands états allemands se trouvent dans une situation analogue à celle du Danemark. Les populations de leurs états sont séparées par des différences de nationalité. Si le Danemark a son Holstein et son Lauenbourg, la Prusse a son duché de Posen, l’Autriche a la Hongrie. Sans s’inquiéter des résistances de l’esprit polonais, la Prusse contraint les représentans de Posen à siéger dans ses chambres ; sans se lasser des refus de la Hongrie, l’Autriche veut rassembler dans son reichsrath la représentation de ses provinces les plus diverses. Ni la Prusse ni l’Autriche n’ont voulu cependant permettre au petit Danemark de conserver les députés de ses possessions dans son rigsraad. Bien plus, le Danemark ayant consenti à donner au Holstein une représentation distincte, c’est maintenant le Slesvig que les cours germaniques tendraient, par la pression de l’opinion allemande et de leurs démarches diplomatiques, à faire sortir de l’assemblée unitaire danoise. Les Allemands doivent être doués d’une opiniâtreté rare pour ne se jamais fatiguer du procès éternel et fastidieux qu’ils font au gouvernement danois.