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l’armée. Quand, il y a cinq mois, nous demandions précisément la réduction qui vient d’être ordonnée, la presse officieuse nous répondait avec beaucoup de chaleur qu’il était impossible de diminuer l’armée à ce point. L’on voit bien maintenant que la réduction était au contraire parfaitement praticable. Seulement, comme on ne l’a opérée que pour faire face à une autre dépense extraordinaire que l’on ne prévoyait point il y a cinq mois, si nous avons obtenu la réduction, nous ne recueillons point au profit des finances publiques l’économie que nous appelions de nos vœux.

En ouvrant à propos la discussion du budget, le corps législatif aurait pu provoquer à temps des explications nécessaires sur notre politique envers le Mexique. Croit-on qu’un débat sérieux sur le côté financier de l’expédition n’eût point été utile au gouvernement lui-même ? Loin de nous la pensée de méconnaître les justes griefs de la France contre les gouvernemens anarchiques du Mexique. Nous ne pouvons pas abandonner sans protection des milliers de Français à la cupidité sanguinaire des bandes pillardes qui se disputent ou se partagent le pouvoir dans cette région de l’Amérique. Nos compatriotes ont été victimes de spoliations indignes. Nous avons le droit et le devoir de réclamer pour eux la restitution de sommes qui ne s’élèvent pas à moins de 50 millions. Nos chambres de commerce étaient unanimes pour demander au gouvernement une politique énergique. Il fallait agir ; mais dans quelle mesure devait-on contenir notre action ? Vers quel objet devait-on la diriger ? Ici il est impossible de n’être point frappé d’un fait remarquable. Les Anglais avaient, comme nous, de graves sujets de plainte contre le gouvernement mexicain ; leurs réclamations pécuniaires sont encore plus considérables que les nôtres : elles s’élèvent à 80 millions. Le gouvernement anglais, surtout lorsqu’à la tête de ce gouvernement est lord Palmerston, l’homme qui veut assurer partout à ses compatriotes l’immunité du civis romanus sum, ne saurait passer pour négliger au dehors la défense de l’honneur et des intérêts de ses sujets. Que voyons-nous cependant ? L’Angleterre a très étroitement et très pratiquement limité son action au Mexique ; elle ne veut pas que la dépense de sa manifestation dépasse la proportion des intérêts qu’elle doit sauvegarder : une mainmise sur le port où se perçoivent les produits des douanes mexicaines lui a suffi ; elle ne s’associe pas à une expédition européenne tentée à l’intérieur. N’aurions-nous pas pu maintenir nos exigences, par conséquent nos chances et nos charges, dans les bornes où l’Angleterre a enfermé les siennes ? Nous avons eu d’autres vues, nous avons adopté un autre plan : soit encore ; mais alors avons-nous eu assez de prévoyance dans la préparation de nos moyens d’action ? Nous ne demandons même pas si nous savions la dépense que nous allions encourir, et si nous avions le droit de ne pas regarder à cette dépense dans la situation financière où nous sommes. Nous demandons simplement si l’on a fourni au premier chef militaire et politique de notre expédition des forces suffisantes pour atteindra le but que l’on se proposait.