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deux heures après le départ de la colonne, avait entendu dans sa marche le bruit de la fusillade. Le jeune officier qui commandait cette troupe légère était plein de bonne volonté et d’entrain. Se conformant aux principes élémentaires de son métier, il s’était rapidement dirigé sur le feu, et il arrivait à temps pour donner à l’affaire de Serpier le caractère d’un remarquable succès. Quand ils aperçurent les burnous rouges, qui jouissaient déjà d’une réputation légitime, les Arabes redoublèrent de précipitation dans leur fuite. Les spahis, entraînés par leur chef, enivrés par l’ardeur d’une longue course et par le parfum de poudre qui s’exhalait comme une odeur printanière des plaines où ils galopaient, se précipitèrent sur les tribus en désordre, et jouèrent avec volupté le rôle d’anges exterminateurs. Le combat dès lors prit l’aspect d’un de ces égorgemens bibliques qui sont restés dans les traditions et les mœurs de l’Orient. Serpier fit arrêter sa troupe, laissant à sa pétulante et impitoyable cavalerie le soin de compléter sa victoire.

Dans la marche offensive qu’il avait exécutée après l’assaut infructueux des réguliers, il s’était avancé jusqu’à un lieu convenable à l’établissement de son bivac. L’eau et le bois, ces deux grandes conditions de la vie humaine, quand elle est ramenée par de mâles destins à ses lois simples et primitives, se trouvaient en abondance dans cet endroit. Une petite rivière, dont l’onde n’avait pas encore été bue par les soifs insatiables de l’été, coulait entre des branches de lauriers-roses; sur les rives de ce large ruisseau s’élevaient quelques arbres d’une taille élancée, empreints de cette dignité mélancolique et sereine qui est le caractère des arbres dans tous les pays et sous tous les cieux. Serpier veilla sur-le-champ à l’installation de son bivac. Toutes les troupes alors ne connaissaient pas cette tente-abri qui de nos jours a rendu de si grands services; mais les corps habitués à la guerre d’Afrique étaient déjà initiés au secret de ce précieux et léger asile. Les zéphyrs et les soldats de la légion portaient ces grands bâtons et ces fragmens de toile avec lesquels on construit en quelques minutes des demeures qui défient toutes les intempéries du ciel. Serpier, que ses camarades accusaient en riant d’avoir un penchant pour des raffinemens asiatiques de luxe, s’était fait suivre d’une tente en poil de chameau portée sur le dos d’un mulet. Il fit dresser cette tente au bord de l’eau, sous un platane à l’épais feuillage, et se trouva en mesure ainsi d’offrir à Laërte l’hospitalité guerrière. A quelques pas de ce gîte somptueux, Bautzen, de son côté, faisait édifier rapidement par ses zéphyrs un logis de son invention. C’était cette simple tente, dite bonnet de police, formée par deux fragmens de toile écrue qui prennent en se rejoignant l’aspect de cette coiffure militaire. Seulement Bautzen avait l’habitude de placer son bonnet de police sous un gourbi dont il