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de Laërte, qui à l’Opéra de Vienne n’avait jamais eu semblables jouissances musicales.

Ce feu formidable pourtant ne rompait point le cercle formé autour des nôtres par les Arabes, et ce cercle au contraire allait toujours en se resserrant. Laërte voyait tomber autour de lui des soldats dont la mort heureusement ne faisait point de brèche au valeureux rempart du convoi. Le capitaine Bautzen indiquait par un signe les vides à combler dans les rangs de sa troupe. Il ne quittait point la pipe noircie qu’au commencement du combat il avait soigneusement placée dans un coin de sa bouche. Les zéphyrs obéissaient gaîment à cette autorité silencieuse. Un jeune fourrier à la moustache blonde, qui avait commencé le métier d’artiste dans un atelier parisien, s’écria d’une voix joyeuse : « Nous ressemblons à des grognards de Charlet; nous avons l’air de poser pour la vieille garde! » Une balle atteignit mortellement celui qui discourait ainsi, sans nuire à l’effet produit par son gai propos.

Mais ce luxe de verve et de courage n’empêchait pas la situation de devenir grave. Les Arabes s’étaient aperçus des efforts que Serpier faisait pour protéger ses munitions; ils avaient compris que les caissons placés au centre du convoi contenaient de la poudre, et ils désiraient déterminer quelque funeste explosion. A cet effet, des hommes résolus, appartenant aux plus intrépides guerriers de leurs tribus, coupèrent des branches de palmiers nains, les enflammèrent et vinrent jeter sur nos caissons ces tisons embrasés. Heureusement le terrain sur lequel on combattait n’était point propice au développement de ces immenses incendies qui changent parfois tout à coup en mer de flammes les plaines africaines. Les projectiles arabes venaient s’éteindre entre les roues des voitures qu’ils menaçaient. Toutefois un accident était à craindre. Une énorme branche de palmier, ardente comme une torche, s’était abattue sur un caisson; il avait fallu le dévouement d’un zéphyr pour enlever ce brandon. Pendant les péripéties de cette lutte, une balle atteignit à l’épaule le cheval de Laërte. Frappé dans la région du cœur, l’animal s’affaissa en silence et se coucha, pour ne plus se relever, entre les cadavres humains dont le sol était jonché. Zabori se dégagea promptement de sa monture. Il aperçut quelques soldats du capitaine Bautzen qui le regardaient en riant. «Voilà, dit l’un d’entre eux, le nouvel officier de la légion forcé de se mettre sur ses jambes comme les camarades. » Laërte avisa en ce moment le caisson sur lequel les Arabes dirigeaient le plus de branches enflammées, et, sautant lestement sur ce coffre redoutable : « Vous voyez, dit-il au soldat dont il avait entendu le propos, que je ne mets pas beaucoup de temps à retrouver une monture. »

Mais un nouvel incident l’arracha de ce poste. Encouragés par le