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Donc, si l’industrie s’en empare, la végétation ne peut plus s’accomplir dans des conditions aussi favorables qu’avant la fondation des usines qui chaque année enlèvent aux mêmes champs d’aussi grandes quantités de potasse.

Ce raisonnement semblait inattaquable ; il n’y manquait qu’une chose, c’était de savoir combien il reste de sels alcalins après l’énorme extraction qu’en a faite l’industrie. Cette donnée importante, un chimiste habile, M. Leblanc, l’a scrupuleusement cherchée à l’aide de l’analyse chimique du sol jusqu’à la profondeur moyenne où pénètrent les radicelles, et il a trouvé qu’il restait dans la terre végétale une quantité de substance alcaline suffisante pour alimenter la culture pendant plusieurs siècles, lors même que les fumures annuelles n’y ajouteraient rien. D’ailleurs l’analyse a également démontré que ces fumures réparent tous les ans les déperditions de substance alcaline, c’est-à-dire rendent au sol ce que les récoltes lui enlèvent. Il en résulte que les engrais minéraux pris isolément, notamment les phosphates et les sels alcalins, ne sauraient avoir ici une grande valeur, car ils existent en quantités suffisantes dans le sol, et cet approvisionnement se renouvelle à l’aide des riches fumures en usage dans ces régions agricoles. L’engrais évidemment utile ou le plus favorable est donc celui qui, dans chaque localité, fournit à la terre ce qui lui manque pour subvenir largement à la nutrition des plantes et réparer les pertes que les récoltes de chaque année lui font subir.

Parmi les engrais minéraux qui, dans le nord même de la France, ne sont pas surabondans, il faut compter la chaux, dont nous avons précédemment exposé le rôle multiple, et c’est encore un des services rendus par l’industrie à l’agriculture de cette région sucrière que de répandre tous les ans parmi les résidus de la fabrication du sucre d’énormes quantités de chaux sous la forme d’écume des défécations, véritable engrais mixte formé dans la chaudière par une combinaison énergique entre plusieurs substances albuminoïdes ou azotées du jus des betteraves et l’hydrate de chaux qu’on emploie pour le clarifier. Une seule des grandes sucreries indigènes, soumettant au râpage 1,000 quintaux de racines, livre chaque jour de 2,000 à 2,400 kilos de chaux qui, sous la forme d’albuminate de chaux, riche en matière azotée, s’ajoutent à la masse des engrais de diverse nature. Quels sont donc, dans cette productive région agricole, les engrais le plus directement utiles, puisque les substances organiques pauvres en azote, ainsi que les matières minérales dépourvues de chaux et de magnésie, y sont impuissantes à développer la fertilité du sol ? Ce sont principalement les engrais riches en matières organiques azotées, ou congénères des substances facilement putrescibles de l’organisme animal, et qui, dans cet état éminemment favorable à