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déjà payé l’impôt. À ces trois taxes on en ajouta deux autres : l’une sur les chevaux, l’autre sur les domestiques. Ces deux taxes, qui devaient inévitablement produire l’effet de lois somptuaires dans un pays où l’aisance est commune, mais où la richesse est une exception, soulevèrent en outre, par la difficulté et le caractère inquisitorial de la perception, des plaintes très vives ; aussi furent-elles successivement réduites, pour disparaître définitivement en 1806. Aucun motif plausible ne semble donc expliquer ce retour à d’anciens erremens condamnés par l’expérience. Si un désir de popularité s’est attaché à l’établissement de cette taxe comme à la réduction du nombre des cotes personnelles et mobilières, il est possible que le progrès qui s’est opéré dans les esprits et dans l’intelligence des intérêts généraux produise un effet contraire. Les taxes destinées à atteindre exceptionnellement la richesse ou l’aisance prennent trop aisément le caractère d’impôts somptuaires, et dans ce cas elles ne sont pas seulement condamnables au point de vue du principe d’égalité et de proportionnalité, elles le sont au point de vue économique et social[1]. M. Fould n’ignore pas ces vérités, et il repoussera les idées chimériques ou funestes dont l’assiègent les hommes à projets ; nous en avons pour gage la condamnation qu’il prononce contre l’impôt sur le revenu en termes d’une concision si énergique.

Les amis de la liberté, les partisans sincères de la vraie démocratie, de celle qui cherche à élever, à éclairer l’esprit des peuples, regretteront que des considérations de cet ordre n’aient pas fait écarter la proposition de dégrèvement de la contribution personnelle et mobilière applicable à une partie de la population. L’exemption de l’impôt a été repoussée au nom de la dignité du citoyen jusque dans ces jours terribles où le niveau égalitaire était la hache du bourreau[2]. La proposition nouvelle, comme on l’a dit justement,

  1. « Imposer le luxe, c’est prendre la civilisation à rebours ; c’est interdire les arts de luxe ; c’est faire acquitter cet impôt par l’ouvrier. Savez-vous si une plus grande cherté des objets de luxe ne serait pas un obstacle au meilleur marché des objets nécessaires, et si, en croyant favoriser la classe la plus nombreuse, vous ne rendriez pas pire la condition générale ? Quelle belle spéculation et quelle absurde philanthropie ! Les lois somptuaires ne sont qu’une hypocrisie. « Ainsi s’exprime M. Proudhon (Système des Contradictions économiques). J’ai cité là un écrivain qui, sans avoir à sa charge tout ce que lui attribue l’opinion vulgaire, ne peut passer pour un aristocrate et pour un défenseur exagéré de la richesse individuelle.
  2. Voyez, dans le Moniteur du 20 juin 1793, la discussion sur la constitution. On avait demandé l’exemption de toute contribution directe pour ceux qui n’avaient que l’absolu nécessaire. Fabre d’Églantine déclara que « cette proposition insidieuse ne pouvait être qu’un piège funeste à l’égalité et à la liberté, » et Robespierre s’écria : « Ce serait établir une classe d’ilotes et faire périr pour jamais l’égalité et la liberté. »