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d’avoir à se déplacer quatre fois par an au lieu de deux. Les gros capitalistes, les spéculateurs goûteront seuls une innovation qui ne laissera pas de constituer une charge assez lourde pour le trésor.

Voilà une partie des raisons qui peuvent faire supposer que la conversion ne réussira que dans une certaine limite. Maintenant, au point de vue de l’intérêt de l’état, pourquoi s’être hâté ? pourquoi n’avoir pas attendu un moment plus favorable ? N’est-ce pas payer bien cher 100, 120, 150 millions peut-être qu’on se procurera par le paiement des soultes que de renoncer à effacer plus ou moins prochainement du grand-livre de la dette publique le neuvième de 173 millions de rentes, soit 19 millions, et de dépouiller l’avenir du droit d’en effacer un jour 38 millions encore ? Qui oserait en effet affirmer que ces conversions successives, ramenant peu à peu le 4 1/2 à devenir du 3 pour 100, ne seront pas possibles avant la fin du siècle ? L’état ne doit pas raisonner comme les individus ; le nom seul de rentes perpétuelles indique qu’il faut songer à l’avenir. C’est une grave détermination que la conversion actuelle, c’est emprunter à gros intérêts ; c’est, suivant l’expression d’un écrivain avec lequel je me rencontre dans plus d’un de mes jugemens, « c’est vendre son droit d’aînesse pour un plat de lentilles. »

L’honorable M. Gouin, dans son rapport au corps législatif, trouve que la conversion, telle qu’elle est proposée, procurera à l’état une économie, attendu que la soulte à recevoir, ne coûtant rien, équivaudra à l’économie annuelle de l’intérêt de même somme. Il m’est impossible de partager cette opinion, et voici le raisonnement que j’oppose à celui de M. Gouin. Si les 173,405,534 francs de rente 4 1/2 pour 100 étaient convertis, et que la soulte fût de 6 fr. par 4 fr. 50 c.[1] de rente, l’état recevrait environ 230 millions (pour 38,534,563 inscriptions). Dans le cas où l’état emprunterait ces 230 millions en 3 pour 100 à 70 francs, il aurait à payer environ 9,800,000 fr. d’intérêts annuels ; mais la conversion obligatoire du 4 1/2 pour 100, le jour où elle aurait pu s’opérer, aurait fait disparaître du grand-livre le neuvième des rentes 4 1/2 pour 100, soit 19,267,281 fr. La différence constitue l’état en perte annuelle de

  1. La soulte vient d’être fixée à 5 francs 40 centimes par un décret du 12 février. Au cours de 71 francs 5 centimes, qui est celui de fermeture de la Bourse du 12 février, 4 francs 50 de rentes 3 pour 100 valent 106 francs 57 centimes ; le pair du 4 1/2 étant de 100 francs, la différence est de 6 francs 57 centimes. L’état demande au rentier 4 francs 40 centimes et lui abandonne 1 franc 17 centimes. Ce dernier bénéficie en outre du coupon payable le 22 mars.
    Si la totalité du 4 1/2 était convertie, l’état toucherait environ 208 millions ; comme on renonce en même temps à effacer du grand-livre 19 millions de rentes, l’argent qu’on recevrait équivaudrait à un emprunt à 9 pour 100.