Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/96

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tumultueuses de la presse. S’il était au milieu de la bataille, bien des choses lui seraient expliquées, et peut-être jugerait-il les hommes avec une sévérité moins âpre. Dans sa retraite silencieuse, il s’est formé du gouvernement de 1830 un idéal politique sans tache ; malheur à ses amis de la veille le jour où la réalité ne répondra pas à ses rêves ! il les dénoncera comme les représentans infidèles de la plus noble des causes, il les interpellera comme un tribun de la gauche, comme un soldat de la presse irritée. Et à qui enverra-t-il ces véhémentes paroles ? A une jeune fille qui vit au milieu même des chefs de la résistance. Il espère, on le dirait du moins, que sa voix, sans bruit et sans scandale, arrivera ainsi plus sûrement jusqu’à ceux qu’il veut toucher ; mais surtout si des insurrections terribles ont provoqué une répression sans pitié, si dans l’ivresse de la lutte on a fait trop bon marché de la vie humaine, Sismondi, atteint ici dans sa foi, dans sa religion de l’humanité, supplie la « gentille correspondante » de parler et d’agir avec lui, de faire agir sa mère, de rappeler la charité aux vainqueurs.


« Oh ! mon Eulalie, que de sang ! que de morts ! quelle tache pour la France, pour notre siècle, pour la liberté, pour ceux qui se disent les honnêtes gens !… Réunissons-nous tous, mon amie, pour rappeler, pour rendre plus sacré le respect que l’homme doit à la vie de l’homme. Agissons de toutes nos forces, de toute notre conscience, pour bien faire sentir l’amplitude de ce commandement : « Tu ne tueras point. » Que votre mère exerce sa douce et persuasive influence religieuse… Que tout ce qui écrit, que tout ce qui parle s’attache à prêcher la bienveillance, la charité, car jamais dans aucun temps la vie de l’homme n’a été jouée avec plus de légèreté. Une réaction des deux philosophies qui se disputent les écoles, la matérialiste et la panthéiste, se fait sentir dans la politique. L’une et l’autre ôtent également à l’individu son importance en lui ôtant son avenir. À qui ne songe point à l’âme, la mort n’est qu’un accident d’un instant. L’homme n’est plus pour l’homme qu’un obstacle dont il se débarrasse sans un moment de remords. Et nous avons tout récemment fait de belles phrases sur l’abolition de la peine de mort ! »


Malgré l’exagération de ces paroles, comment ne point admirer cette chaleur d’âme, ce libéralisme cordial et tout nourri de charité ? Le libéralisme, non pas celui des lèvres, mais celui du cœur, le libéralisme en vue du perfectionnement individuel et du progrès moral des sociétés, en un mot le libéralisme devenu une foi religieuse, voilà le secret des émotions, des incertitudes, des contradictions mêmes de Sismondi. Partout où la liberté est en péril, il le sent aussitôt, et, blessé dans sa foi, il éclate en protestations véhémentes. Que l’église catholique ou le clergé protestant se montre sur tel ou tel point hostile à cette grande cause, on verra éclater