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Français dépassaient à peine la taille de Tom Pouce ; elle a du reste l’abandon d’un enfant de six ans ; elle dessine très sérieusement nos portraits de la façon la plus comique. Nous sommes jolis à ses yeux, si c’est ainsi qu’elle nous voit !

Mais en dehors des trois Maries il y a d’autres types fort curieux et plus tranchés. Une jeune fille mise sans goût, en robe vert pomme et châle jaune, âgée de dix-sept ans, médiocrement jolie, coiffée de cheveux blonds plantés si bas qu’elle n’a pas de front, s’acharne à l’un de nous, à qui elle a demandé un dessin, et qui n’a pas cru pouvoir le lui refuser sans impolitesse. Dès lors elle le regarde comme sa chose et le poursuit d’une jalousie si féroce, qu’il est forcé de la menacer en riant de la pointe de son canif pour se soustraire aux terribles attaques d’une épingle à cheveux plantée traîtreusement à plusieurs reprises dans ses reins. Il monte sur le toit en plate-forme du bateau pour lui échapper ; elle l’y poursuit et lui débite en anglais un discours énergique, auquel il ne comprend pas un traître mot. Que faire ? S’en aller encore ; bien, mais elle le suit, et, comme il fait nuit et que l’échelle de descente est étroite et difficile, notre infortuné compatriote, enchaîné aux lois de la courtoisie, se retourne pour lui offrir la main. Elle saisit cette main et la presse dans les siennes et sur son cœur avec une désespérante effusion de reconnaissance. Pendant deux jours, cette jeune Yankee, bien plus sauvage qu’une Indienne, a persécuté ainsi le malheureux passager, et, forcée de le quitter à l’une des stations, elle lui a dit au revoir d’un ton tragique qui équivalait à un serment de vengeance.

Une autre, à peine âgée de douze ans, enfant pleine d’innocence à coup sur, mais déjà stylée à la pourchasse de l’épouseur, prend quelqu’un de notre party eu affection. Il lui demande avec un enjouement tout paternel si elle veut bien de lui pour mari. Elle accepte vite en disant : — Je suis trop jeune à présent, mais j’accepte pour plus tard.

— Oui, quand je revendrai !

— Très bien, quand vous reviendrez ; mais il me faut un gage.

— Un gage ?

— Oui, donnez-moi votre anneau et prenez le mien, je n’ai pas envie d’être trompée.

Tu penses bien qu’il n’a pas consenti à cet échange, et qu’il a pris note de ce trait de mœurs.

26 août. — À Saut-Sainte-Marie, le capitaine du North-Star se dérange un peu de sa route pour nous déposer dans l’île de Mackinaw, où nous devons trouver demain matin un autre bateau pour Milwaukee.

On fait ses adieux aux aimables compagnons de route. Je peux