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minstrel blanc peint aussi en noir, habit cà fleurs, chapeau gris campé fièrement de côté, cravate rouge, col de chemise Jusqu’aux yeux, pantalon rayé, chaussé de bottes dont la semelle épaisse d’un pouce est en fer, vient danser en frappant le plancher comme un enragé. Il feint de trébucher, cherche et ramasse un cheveu. Il explique, avec force gestes dégingandés et contorsions comiques, comment ce cheveu, qui ne peut être à lui, mais à quelqu’une des danseuses qui viennent de sauter une gigue, a failli, malgré l’épaisseur de ses semelles, le faire tomber à la renverse. Il termine son discours par un saut de carpe le chapeau sur la tête, et sort. C’est, à la couleur près, le Stenterello florentin.

Il y a bien une salle d’opéra ; mais comme il n’y a en ce moment ni troupe italienne, ni troupe française, on y joue des vaudevilles et des pièces françaises traduits en anglais. Acteurs médiocres, rien qui valût la peine d’entrer.

15 août. — Ce soir, dîner au club de l’Union ; cent personnes, speaches, toasts à l’anglaise. Le prince prend la parole pour remercier tous les Américains en général, et les membres du club en particulier, de leur aimable réception ; il fait des vœux pour la prospérité du pays et la fin des dissensions politiques. On se retire à dix heures.

Un aimable gentleman qui a pris Ragon et moi en affection nous propose de nous présenter dans une réunion de famille où l’on danse. Curieux de voir le beau monde de près, nous mettons nos gants blancs et nous faisons notre entrée. Il y a nombreuse compagnie. Des hommes en tenue de soirée, des femmes en toilette de bal dansent ou causent par groupes dans deux salons assez beaux et bien éclairés. Un pianiste joue des valses et des gigues, des négresses font circuler des plateaux chargés de coupes de Champagne glacé. Personne ne se connaît, mais les poignées de main n’en pleuvent pas moins, même avec les dames, qui sont généralement jeunes et jolies. Deux demoiselles nous invitent pour un quadrille. Ce sont donc les femmes qui font les invitations ? Un monsieur me dit tout bas à l’oreille que ma danseuse est fille d’un riche négociant de la ville, qu’elle a reçu une très bonne éducation, et que c’est un très bon parti. — Bon ! je ne suis pas venu ici pour me marier ; mais il n’en coûte rien de regarder cette jeune demoiselle, de si petite taille qu’elle semble n’avoir que douze ans. Pourtant ses formes arrondies prouvent qu’elle est au moins nubile. Une petite figure blanche et rose, des yeux bleus, une petite bouche en cœur, des cheveux à petites boucles, épaules et bras nus, robe de gaze rose : elle a l’air d’une petite poupée.

Il me semble pourtant, au bout d’un instant, que certaines con-