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les esclaves aux États-Unis ? Personne. Il n’y a qu’en Europe qu’on s’occupe de ça. On s’imagine que nous passons notre temps à fouetter nos nègres. Ce sont les Yankees qui font courir ces faux bruits pour nous ruiner. Ils sont jaloux de nos richesses. Venez dans la Caroline, la Géorgie, à la Nouvelle-Orléans, vous verrez le soin que nous prenons de nos esclaves. Si, par hasard, l’un d’entre eux tombe malade, on s’empresse de le guérir. Ils sont bien logés, bien nourris, ne travaillent pas plus qu’il ne faut, et ne désirent rien. Ils sont plus heureux que les colons et les paysans de l’ouest ; oui, avec nous, ils sont plus heureux que dans le nord, où ils ont la liberté, c’est vrai, mais la liberté de crever de faim !…

S’il n’eût pas été parfaitement inutile de répondre à des gens si passionnés, et de si mauvaise foi dans leur apparente bonne foi, je leur aurais dit qu’ils éludaient la véritable question, celle du fait même de l’esclavage ; mais pour eux c’est de droit divin !

Oui, oui, paternels lords du fouet, vous montrez le bout de l’oreille. Aviez-vous le droit de vous séparer de l’Union ? C’était là une question à discuter dans une assemblée d’hommes calmes et non à trancher par les armes. Vouliez-vous tout simplement faire de plus gros bénéfices sur le coton en traitant directement avec l’Europe ? Question de commerce qui ne trouve pas sa solution dans les combats destructeurs de la production. Ayez donc le courage d’avouer que vous voulez tout simplement étendre votre domination esclavagiste sur tous les états de l’Union, en vous annexant en outre le Mexique et Cuba. Toute la question pour vous, c’est de ne pas payer le travail de l’homme. Là est votre profit, votre richesse, votre prétendu droit que la politique a pu consacrer, mais que l’humanité repousse et annule. — La Virginie, le Tennessee, la partie du Missouri et celle du Maryland qui sont esclavagistes, ne produisent que peu ou point de coton. Ce n’est donc pas pour le coton que ces provinces sont en lutte contre l’Union, mais pour les autres denrées qu’on peut obtenir à bon compte par le travail des esclaves. L’homme du nord n’a pas de cœur, dites-vous. Je trouve bien aussi, moi, qu’il n’en a pas assez dans une question pareille ; mais c’est que peut-être il ne l’a pas encore bien comprise, et, prenez garde, le temps marche vite, et le Yankee glacé aura son réveil terrible quand la vérité se fera jour dans ce pays, où elle est si bien cachée et déguisée. Alors planteurs, esclaves et monopole du coton disparaîtront de la civilisation.

Un simple soldat d’infanterie que je rencontre seul un instant après me tient un tout autre langage que celui de ses chefs : — Je suis Français ; j’étais venu comme ça en Amérique pour faire mon état de jardinier ; mais avec la guerre il n’y a plus que des lauriers